Tissu, soie et coton, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Pua kumbu, coton, ikat chaîne
Iban, Kapit, Sarawak, Malaisie
Tissu, coton, ikat chaîne
Toraja, Sulawesi, Indonésie
Tissu, soie, ikat chaîne
Marguilan, Ouzbékistan
Geringsing, coton, ikat double
Tenganan, Bali, Indonésie
Tissu de sarong, coton, ikat chaîne
Savu, Indonésie
Kasuri, coton, ikat trame
Okinawa, Japon
Kimono, ramie, ikat double
Noto Jofu, Japon
Selendang, coton, ikat chaîne
Nggela, Lio, Flores, Indonésie
Bet ana, coton, ikat chaîne
Biboki, Timor ouest, Indonésie
Ulos suri-suri, coton, ikat chaîne
Toba-Batak, île de Samosir, Sumatra, Indonésie
Bidang, coton, ikat chaîne
Iban, Kuching, Sarawak, Malaisie
Flammé, coton, ikat trame
Charentes, France
Hinggi kaworu, coton, ikat chaîne
Maudolu, Sumba, Indonésie
Tissu, soie, ikat trame
Palembang, Sumatra, Indonésie
Hinggi kombu, coton, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Tissu de sarong, coton, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Chiné à la branche, soie, ikat chaîne
Lyon, France

L'ikat,
sur les fils, la couleur teinte, réservée.
Sur les fils, l'alphabet
des motifs et des figures.

 L'ikat,
le temps long des mémoires
et des cultures,
textiles porteurs de vie.

Si les foyers d'origine de l'ikat sont incertains, ses voyages le sont aussi. Mais certaines propagations d'une région du monde à une autre sont avérées. Si la technique voyage, les peuples qui se l'approprient créent des ikats qui sont singuliers, en lien avec leur culture.

L'expansion austronésienne

Comme mentionné dans le parcours des territoires, le premier voyage de l'ikat se fait à partir de la Chine du sud actuelle lors des grandes migrations austronésiennes. L'expansion des peuples austronésiens s'étend sur un territoire très vaste, mais elle se fait durant le Néolithique par vagues successives et les Austronésiens propagent l'ikat jusqu'aux Philippines au Nord, jusqu'à Timor à l'Est et Madagascar au Sud. Vers le Pacifique, ils apportent le tissage jusqu'aux îles Salomon, mais au-delà, vers l'Océanie, aucune trace de propagation textile. C'est l'ikat chaîne qu'apportent avec eux ces peuples, qui se différencie dans chaque contexte culturel, en gardant quelque parenté d'origine dans les motifs.
Comme cette expansion est très ancienne, il est raisonnable d'imaginer un foyer d'origine de l'ikat chaîne en Chine du Sud. Mais cela reste une hypothèse.

À partir de l'Inde

Une autre hypothèse est celle d'un second foyer d'origine en Inde. Dès le Ve siècle, le commerce maritime est bien établi entre le continent indien et la partie de l'Arabie qui deviendra le Yémen. Et une première propagation a pu se faire vers le Yémen, avant même l'arrivée de l'islam, à travers l'ikat chaîne simple, à motifs en têtes de flèche.

Mais le foyer de l'ikat en Inde est riche aussi de l'ikat double (les patola du Gujarat) et sans doute assez tôt de l'ikat trame. Et les marchands indiens, après le VIIe siècle, participent au développement des régions côtières de Sumatra. Ils y apportent sans doute l'ikat trame qui se répand vers la péninsule malaise, le Cambodge et le Laos actuels. Peut-être cette influence se fait-elle sentir aussi auprès des Batak du centre de Sumatra, mais ceux-ci gardent l'ikat chaîne.

Une autre voyage possible est celui de l'ikat double aujourd'hui tissé à Bali dans le village de Tenganan : d'anciens récits, mais aussi des études scientifiques, semblent attester la migration vers ce village d'une communauté indienne, dans les premiers temps védiques plusieurs siècles av. JC, communauté qui révérait le dieu Indra. Cette communauté est la seule qui aujourd'hui, crée des geringsing à Bali, inspirés sans doute par les patola pour certains motifs, mais qui affirment des caractères hérités aussi des Austronésiens.

Enfin, un voyage plus tardif (surtout à partir du XVIe siècle) mais de grande ampleur est le commerce des patola, l'ikat double en soie du Gujarat, vers l'archipel indonésien. Leur beauté fascine les puissants de Sumba, de Flores et de Timor notamment, et les ikats locaux vont copier les motifs des patola et les incorporer dans leurs tissus rituels. Mais cette copie n'est pas servile, et leurs ikats gardent une singularité, d'une île à l'autre. Les Hollandais prennent le contrôle de ce commerce au XVIIe siècle.

  Détail d'un geringsing, ikat double, coton   Détail d'un tissu d'épaule, ikat chaîne, coton

L'Islam et les méandres de l'ikat

L'islam fait une large place au textile et l'ikat va se développer dans certains des pays conquis par la nouvelle religion, à partir du VIIe siècle. Les motifs en tête de flèche arrivés au Yémen vont se propager vraisemblablement en Turquie, en Syrie et en Iran. Pour ces deux derniers pays, on dispose sur les ikats chaîne de ce genre de motifs. Les ikats à base de ces motifs simples vont même revenir en Inde via l'Empire Ottoman, au XVIIe siècle, sous le nom de mashru (nom arabe qui signifie permis) : un tel tissu comprend une chaîne de soie ikatée et une trame en coton. Il était permis aux hommes car il n'était pas en soie pure (réservée aux femmes dans la tradition islamique).

On observe aussi ces motifs simples en Asie Centrale, mais sur des tissus assez rares au moins de nos jours. Le voyage aurait pu se prolonger jusque là à partir de l'Iran, car des migrants iraniens se sont installés par exemple à Boukhara et travaillaient dans le textile.
Mais les ikats de l'Asie Centrale présentent surtout de grands motifs qu'on ne retrouve pas en Inde ni au Moyen Orient. Quelle est l'origine de l'ikat dans cette région ? Bien difficile de répondre avec certitude. On sait par quelques textes et pièces conservées qu'il y avait de tels ikats au XVIIIe siècle, peut-être avant, mais leur grand développement date du XIXe siècle. Certains motifs peuvent faire penser à des formes anthropomorphes, tout comme le plus ancien ikat conservé en provenance de Chine du Sud. Une première hypothèse serait alors une lente propagation vers le Nord-Ouest à travers la Route de la Soie, avec des réminiscences anciennes. Mais les métiers à tisser en Asie Centrale sont plus évolués qu'en Asie du Sud-Est, ce qui questionne cette hypothèse.

Une autre possibilité serait une source indienne, mais aucun indice ne vient la conforter : la route des ikats reste parfois indécidable. On suppose aussi, ce qui est vraisemblable, que l'ikat est arrivé en Afrique de l'Ouest via l'islam. Mais ici, les ikats tissés en bandes peu larges selon la tradition africaine et avec juste des motifs en pointillés, se sont transformés au fil du temps.

Tissu en soie, Ikat chaîne à motif têtes de flèche Détail d'un issu à motifs d'apparence anthropomorphe, ikat chaîne

Vers le Japon, l'Europe et l'Amérique

L'ikat remonte sans doute de la région malaise ou de Taïwan vers le Nord-Est. Il est présent au XIVe siècle dans l'archipel des Ryukyu, alors royaume indépendant qui est conquis par le Japon au XVIIe siècle et prendra le nom d'Okinawa. L'ikat devient au Japon un tissu populaire et non de grand luxe, sous le nom de kasuri, principalement sous forme d'ikat trame.

En Europe, le Chiné à la branche en soie réalisé à Lyon est attesté au XVIe siècle. La technique provient certainement d'Orient, mais on ne dispose pas de traces bien précises. Est-elle arrivée via les ateliers d'ikat implantés dans certaines régions musulmanes comme la Sicile dès le Xe siècle ? Majorque a été un autre centre de production : les textes en citent au XVIIIe siècle, mais pas avant, ce qui n'interdit pas une implantation plus ancienne. Enfin, un dernier type d'ikat assez répandu en France est le flammé, un ikat trame en coton. Ce flammé, qu'on a nommé à ses débuts siamoise flammée, est arrivé peut-être comme cadeau apporté à Louis XIV en 1686 par Kosa Pan, un ambassadeur du Roi de Siam de l'époque. Ou peut-être était-ce une copie des vêtements portés par les Siamois. Très vite, on s'entiche de la siamoise, et il va s'en fabriquer essentiellement en Normandie, autour d'Yvetot. Ce flammé sert de tissu d'ameublement (rideaux, dessus de lit...) dans le milieu rural aisé.

Quelle est l'origine des ikats tissés sur la partie occidentale de l'Amérique centrale et du Sud ? Pas de réponse à cette question. L'expansion austronésienne, on l'a vu, n'est pas venue jusqu'ici. Ce seraient les Européens qui auraient apporté l'ikat avec les conquistadores ? Mais au XVIe siècle, la technique est peu connue en Europe, et pourquoi, dans ce cas, n'est-elle présente que sur le côté ouest de l'Amérique ? Faut-il en conclure que les pré-Colombiens connaissaient l'ikat, et qu'il y a là un autre foyer d'origine ?

  Détail kimono d'enfant, kasuri, ikat double, coton   Pans de rideaux, Chiné à la branche, ikat chaîne