Premier village, dans cette chambre

Me revoici dans cette chambre étroite
où j’ai tracé sur toi les premiers signes,
après vingt ans, quelle part enrichie de l’espoir,
quelle avancée plus loin que nous,
quelle connivence tangible des corps ?

 Du balcon, on ne devine plus comme autrefois le lac,
les bruits sont devenus multiples alentour,
mais la lumière n’a pas changé qui porte le regard
au-delà du regard dans la trouée des frondaisons
vers cet autre pays plus enfoui, lumineux.

Maigre espace fondateur, même couche
où j’ai choisi ton corps de nuit,
fallait-il un abri si précaire
pour que nous sachions presque vivre,
que notre histoire se protège
au prix parfois de l’immense douleur.

Langueur intime de la chambre
nous sommes partis sans savoir,
sans rien que le nom de l’amour
à basse voix murmuré,
et cette fluidité partagée d’une lumière moins inquiète.

Voici, les mots sont à peine moins difficiles maintenant,
nous avons parcouru les replis de notre langue réciproque
lentement et sans bien retenir les rives
et mon corps a plus besoin d’apaisement que jamais.

Quelle découverte insatiable
au prix parfois de l’immense douleur ?
J’aurai passé en toi
sans te connaître mieux qu’un paysage
– et le soleil l’abreuve
et rend la marche plus diaphane –

Je n’aurai rien saisi en toi
qui veilles sur mon sommeil
que cette force indéfectible de veiller
plus attentive que mes saccages
plus naissante que la parole.

La phrase sur toi tracée ce jour
dans les jardins je tiens ta main
jusqu’aux couleurs insoumises des terres d’avril.

 

Avril 1987, La Noé de l’Étier / Écriture mai 2021