Visages, Icônes (3)

Continuons notre parcours des visages, pour la période des XIe et XIIe siècles, sur les terres turques et géorgiennes, aussi bien dans des lieux retirés que dans des ensembles patrimoniaux plus importants.

L’occasion d’apprécier sur les images les variations dans les styles.

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Nous avons parcouru la vallée d’Ihlara, en Cappadoce, en 2010, dans un environnement encore sauvage et non aménagé pour le flot des touristes, à l’époque peu nombreux. Cette vallée, née d’un ancienne activité volcanique, distribue des paysages somptueux. Et elle est truffée d’églises creusées dans la roche, pratiquement toutes ornées de peintures. Et presque toutes ces peintures ont été dégradées au cours du temps, par des inscriptions et éclats parasites. Si bien que l’enchantement du parcours est constamment tempéré, presque contraint, par une sorte de lamentation ou de rage intérieure…
Bahattin Samanligi kilise – l’église du grenier à foin de Bahattin1 – possède des peintures datées du milieu du Xe au début du XIIe siècles. On y a découvert récemment une inscription révélant que le donateur des peintures était un membre de l’élite militaire byzantine. Catherine Jolivet-Lévy affirme que les couleurs, aujourd’hui assombries, étaient à l’origine très vives, et que l’ensemble des images font référence, notamment par les bijoux portés par les personnages, à une ambiance aristocratique.


Simon

David Garedja est au bord de la steppe que les Mongols autrefois s’étaient appropriée. Toute la falaise qui semble ici dominer le monde est trouée d’abris, autrefois monastères. Et ce parcours serre le cœur, fresques ouvertes à tous les vents, à toutes les décrépitudes.
L’image supposée de Simon orne l’ancien réfectoire des moines. Les traits sont minimes, on cherche la puissance d’origine de l’image, on cherche la présence de ce visage impassible...


Vierge
Au début du XIIe siècle, David le Bâtisseur, roi de Géorgie, impulse de profonds changements, nouvelles villes, routes, ponts, canaux d’irrigation et nouveaux monastères. Parmi ceux-ci, Ghelati est un des plus imposants, il comprend trois églises dont la grande église de la Vierge, et un bâtiment dit de l’Académie dédié à l’enseignement.

Ce visage appartient à une Vierge à l’enfant, présentée entre les archanges Michel et Gabriel, à la nef de la grande église, sous forme de mosaïque. Elle date de 1130 environ. “ La technique picturale caractéristique de Byzance est ici combinée avec le concept linéaire de forme typique de l’art géorgien2 ”. On comparera ce visage avec celui de l’abside de Sainte-Sophie, trois siècles plus tôt.


Vierge

On a déjà rencontré à l’article précédent, l’église Saint-Georges, de Svipi-Pari.
Parmi les fresques qui recouvrent toutes les parois intérieures, ce visage, daté sur place du XIIe siècle, mais plus probablement du XIVe.


Christ en métal
Mulakhi est situé non loin de Mestia, en Svanétie. Comme dans tous les villages ou presque, les maison-tours marquent le paysage de leur empreinte. L’église du Christ, plus humblement, a l’air d’une simple maison.
Les peintures aux murs datent du XIIIe siècle, mais l’église abrite des trésors, dont une icône du VIe siècle. Celle-ci, visage du Christ bénissant, date du XIIe siècle. La frontalité et l’épure énigmatique sont accentués par le rendu spécifique du métal repoussé.


Vierge

Le monastère de Eski Gumusler est situé au sud-est de la Cappadoce, non loin de la ville de Nigde. Il est aménagé dans un immense bloc de tuf tendre que les moines, au Xe siècle, creusèrent en tous sens pour façonner leurs cellules. Au centre, une grande cour excavée, à ciel ouvert. De l’autre côté de la cour, une église, complètement taillée dans la roche, dont quatre hauts piliers forment la structure.
Les parois sont là aussi couvertes de fresques datées des XIe – XIIe siècles. Parmi celles-ci, sur la paroi nord, une Annonciation, avec ce visage de la Vierge, dont on remarque à nouveau la permanence dans la composition.


Christ
Görëme est le joyau de la Cappadoce, un musée à ciel ouvert dans un paysage admirable, gâché tôt, dès le matin, par une affluence de touristes qui rendent tout irréel. Comme si la foule marchandisée déconstruisait la mémoire, le territoire, en faisait un hochet publicitaire, une autre forme d’image, sans consistance culturelle aucune.
L’église aux sandales (Çarikli Kilise) date du XIe siècle, elle abrite des fresques du XIIIe, dont ce Christ Pantocrator au sommet de la coupole, dont on peine à apprécier le calme bienfaisant.

1 Catherine Jolivet-Lévy, The Bahattin samanligi kilisesi at Belisirma (Cappadocia) revisited, in Byzantine Art : recent studies, Brepols, 2009.

2 Rusudan Mepisashvili et Vakhtang Tsintsadze, The Arts of Ancient Georgia, Thames and Hudson, 1979.

Écriture le 30/11/23