C’est à midi, dans un village

C’est à midi, dans un village, il est entré, il marche c’est pour découvrir encore des terres, nous entrons toujours dans de nouvelles vies, il ne voit personne à midi, sauf au loin dans l’opposé de la place un homme à vélo.

Il ne voit que les façades des maisons, les porches, les arrangements que les hommes ont dressés les uns contre les autres, les maisons touche à touche.
C’est à midi, il a marché dans ce pays des vignes, il y a peu de monde, un homme dans ses terres sur sa machine, une fumée presque bleue qui marque l’horizon dans les lointains. Il a marché c’était en lui que le parcours prenait corps. C’étaient toutes ces années passées à comprendre ces terres, enfouies lui semblait-il, à jamais délaissées, alors que tout, de prime abord, lui paraissait ici riant, de l’évidence du calcaire au soleil à la folie multipliée des roses trémières dans les ruelles.


Nous entrons toujours sans le savoir, les années sont passées qu’ai-je fait des moments provisoires, il passe, il va d’un village à l’autre il voudrait mieux toucher, dévisager quelque attitude, comprendre.
Nous entrons toujours, se dit-il, dans les jours recommencés il faut bien vivre, dresser des gestes, construire. Il se rappelle enfant les cabanes dans les bois montées avant l’hiver. Construire, les maigres assemblages qu’on a appris, qu’ai-je fait dans l’empan d’une vie, l’incertitude qui passe au devant de soi comme venues des paysages alternent l’absence et l’immense lumière. Sans le savoir, les visages dans la naïveté du matin, ceux qu’on laisse, ceux qu’on croise, et dans le profond des yeux parfois cette eau douce et fugace qui comble à la fois et appelle.


Il a passé le village, franchi le ruisseau, est remonté sur les hauteurs des vignes, s’est assis à l’ombre d’arbres maigres. Il voulait faire l’image d’un territoire, la musique entrecroisée des terres et des hommes. Il lui semblait d’ici, dans les fluides courbes des chemins blancs remontant les coteaux, qu’un chant modeste, obscur, disait la même parole depuis des millénaires.
Quelle permanence cela, dans la griserie encombrée du monde ? D’autres pays venaient dans sa mémoire, avait-il été toujours ailleurs, toujours chez lui, porté par les gestes et le vouloir imprécis des visages ? Qu’est-ce qui durait, d’un ermitage de la pensée à l’autre ?


Faire une image, mieux toucher dans le choix de la terre les pans d’humanité. Tresser, dresser contre le dérisoire l’humilité tenace des paroles, tresser sans le savoir, tisser dans l’invisible l’écho des hommes, ce qui tient toute terre hors de la violence un peu, hors de l’inutile.
Où qu’il fût allé, et pour peu que le corps d’abord, et tout son être, se fussent laissés gagner par le chant des instants, il avait éprouvé cette permanence précaire, murmure entêté d’au-delà des désastres, qui naissait à l’orée des demeures d’hommes, des paysages qu’ils avaient façonnés, et des gestes de vivre qu’ils posaient là, de saison en saison.


Et même quand cela prenait corps d’une extrême nudité – il se souvenait de ces ruches posées dans le désert autour de maigres tentes et de ce miel puisé à d’improbables fleurs – même quand cela venait sur le rien, le chant restait le même. Pourrait-on jamais savoir ce qui rendait ce miel inoubliable comme aujourd’hui l’accord lumineux des vignes ? J’ai cherché cela éperdument, se disait-il, cela qui émerge par fragments du désastre.

Écriture 26/04/21

Cest a midi