Textile, comme les mots cette si lente naissance
et depuis si longtemps pas à pas recommencée dans le soir tu tries les fibres, j'écris, qu'assemblons-nous d'un chant des hommes à l'autre quelle incarnation de l'écoute ou du regard, nous sommes dans la nuit de ce village presque hors du monde et tout se tient si près quand je te parle ainsi toute naissance nous recrée tu tiens les fibres tu les étends sous la lumière tu choisis un à un l'emplacement des signes, voici la phrase au souffle incertain, rien n'est acquis jamais rien ne se tient, les ancrages des fils sont si fragiles tes doigts mêmes parfois les brisent.
J'écris auprès de toi nous suivons à distance le dialogue dans l'ébauche des mots. Ce qui sera tissu se construit dans la lenteur irriguée de ton corps, tu donnes aux gestes cette sérénité qui de tout temps te traverse, la pluie n'entrouvre nulle blessure le temps donne aux mots ce pouvoir de rassembler le temps, comme les fibres en un tissu l'espace.
Pas à pas depuis si longtemps recommencés comme les mots dans l'intervalle des êtres pour combler la béance, ces gestes dans l'ordre et tu n'as sur eux nulle emprise profonde mais cette approbation seulement de ce qui naît, vivant dans sa présence d'espace et de signes et d'assemblage longuement mûrie.
Ecrire, est-ce ainsi se perdre dans les lambeaux des vivants multipliés, et quelle cohérence alors à peine repérée et presque du dehors de soi pour fonder la parole ?
Le corps se penche encore le corps appelle de tous ses multiples fragments vécus cette vague qui les rassemblerait dans l'instant. Et cela parfois naît sensiblement et rien n'explique plus cette dissolution du silence.
Dans le soir maintenant de ta main tu rythmes ce fil au travers d'autres qui s'agrège à lui-même. Tisser ensemble les fibres et cette part du vide entre elles inéluctablement, comme si tout objet gardait mémoire des fragments qui l'incarne, comme si rien n'était lisse parfaitement.
De ta main tu peuples ce moment, j'envie cette avancée régulière près de ton front sans obstacle l'étoffe s'ouvre au monde c'est le reflet de toi bercé dans le soir, j'envie ce dépouillement rassemblé qui s'oppose à l'absence.
Textile, les mots sur lui à peine revenus du creusement des langues, l'enlacement pourtant comme les fibres mais étrangement plus défait, comme en sursis toujours d'inexistence ce chant dans le contre-jour des mots qui ne nous quitte pas.
Plus tard, quand sera terminé ce battement lourd qui la fonde, tu prendras l'étoffe tu la porteras vers la lumière et du regard tu chercheras la lueur venue d'elle, nos corps feront silence plus attentifs à cet espace frêle encore plié qui soudain se révèle. Les mots alors diront l'acquiescement encore devant cet espoir incarné lentement repris recommencé lentement su.
Monique, Lépinoux