Sur le tympan, ici à Beaulieu comme ailleurs, le message essentiel des commanditaires que les imagiers ont mis en œuvre. À Beaulieu, le jugement à la fin des temps.
Sur la face est du trumeau, un personnage, allongé démesurément comme à celui de Moissac. Mais ici, il nous fait face, tout son corps est tendu dans l'effort de porter. De supporter le monde au-dessus de lui, ce qui s'écrit sur le tympan, du ciel et de l'enfer. C'est un atlante comme on dit, en référence à Atlas, le titan qui dans la mythologie grecque portait la voûte céleste.
Il n'est qu'un homme ici, qui porte le poids du jugement, avec l'aide de ses compagnons sur les autres faces du trumeau. Et ses chausses, son vêtement, semblent ordinaires, juste esquissés par l'imagier. Seul détail de l'importance de l'homme : des bracelets à ses poignets, ou peut-être n'est-ce que la finition décorée de ses manches. Ses bras sont serrés contre lui, l'un prend appui sur la pierre du trumeau, l'autre sur sa cuisse. La silhouette n'inspire que la besogne, dans l'effort intense de porter.
Le visage, après le corps, et l'image soudain change de présence. Certes, on continue de voir l'aspect presque sommaire des modelés, la tête enfoncée presque maladroitement entre les épaules, que l'érosion lente de la pierre accentue. Mais en peu de traits, le visage dit l'effort, et la volonté, et la fatigue humaine. À leur paroxysme. Mais un paroxysme hors du temps, qui dure. Une éternité.
Le vieillard ne fait que cela, porter, maintenir, faire que rien ne s'effondre. Il sait depuis longtemps qu'il n'y aura pas de fin. Sa force à lui s'en est allée peu à peu, son corps s'est affaissé, ses yeux se sont fermés, semble-t-il. Et sa bouche n'exprime que la douleur contenue, tenue à distance, comme est contenu le monde. Pas de rictus, pas d'effort ostentatoire, pas de spectacle. Tenir le monde n'est pas affaire de force physique au fond. C'est de l'intérieur de soi qu'il s'agit, de la capacité de tendre en soi des fils d'humanité en suffisance, de les tresser patiemment, qu'ils empêchent la déchirure.
Le vieillard du trumeau de Beaulieu est l'autre versant du Jérémie de Moissac. L'atlante n'a pas la confiance du prophète, la source jaillissante de la parole. Il ne compte que sur lui-même et son silence pour traverser le temps. Pour conforter sa propre cohérence. Tenir encore le monde. En soi.
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