L'architecture, les lignes...
Alors, vous revenez vers ces objets, vous savez bien qu'il n'y a pas de magie, et vous cherchez en eux comme vous le feriez d'un édifice ou d'une peinture ce qui fait leur puissance, ce qui suscite l'émoi. L'architecture d'abord, les formes dans l'espace : les coiffes n'épousent pas le visage, on a mis en elles quelque armature souple qui s'érige au-dessus de lui, qui le prolonge. Formes multiples, parfois juste un cercle ou un carré, parfois une hauteur aux angles brisés, ou un relief arrondi. La structure de la coiffe ainsi fait le signe du territoire, de l'appartenance, elle dépasse chaque visage, elle l'englobe mais ne l'efface pas, et le visage ainsi porteur d'un style devient emblème, à la fois intensément lui-même, magnifié par la forme qui l'enveloppe, et tout autant fondu dans la communauté, la peuplant de son identité et de ses différences.
Car chaque coiffe, aussi, est unique. Au-delà des déclinaisons – les coiffes de cérémonie, de tous les jours, de deuil – chacune est singulière. Le jeu des lignes par exemple, qu'on voit le mieux sur les coiffes simples, fait voir un extraordinaire équilibre visuel entre les élancées verticales et la stabilité horizontale. Les plis sont variés, fins ou larges, ils se resserrent ou se déploient, épousant avec souplesse les arrondis de la coiffe, affirmant sa silhouette globale dans l'espace, tout en lui donnant une fragilité bien humaine. On sent bien que les plis lentement ouvragés pourraient à l'instant s'effacer, et rendre le tissu à son insignifiance.
Reste encore la complexité de l'objet, qu'on découvre quand, partant des multiples éléments épars – cartons, dentelles, rubans... - on refait le chemin du montage de l'objet. Tout ceci s'organise, tient de la rigueur et de l'improbable à la fois, un peu comme tout être vivant. Tout ceci requiert de la ténacité, du talent. Et cette complexité de mise en œuvre donne à voir un objet lui-même dense, qu'il faut regarder aussi pour lui-même. Comme souvent l'œuvre d'art, la coiffe entraîne le vertige du regard, elle multiplie les niveaux de lecture, d'un détail des dentelles dans l'incertitude du vide et du plein, aux interactions des lignes avec les courbes du visage, des couches superposées de tissus, de transparences, aux assemblages précis des rubans.
Sans doute faut-il prendre un peu de distance dans la mémoire, se débarrasser de la connotation folklorique qui peut encore entourer ces objets, se concentrer sur eux. Alors peut-être on comprendra, qu'au-delà de leur rôle dans la séduction, dans l'identité, il y a là un univers de création partagée, qui a fait, le temps d'un siècle à peine, profondément culture.