Entre les mots

Je regarde la cour. Et le jardin qui la prolonge. Et plus loin, les champs où les céréales bientôt vont grandir. Que passe-t-il entre les mots, de la présence, du tissage de la vie, qui dépassent ce qu’ils décrivent ?

Les mots – le jardin notre terre brassée depuis tant d’années, le frêne plusieurs fois centenaire et dont les jours qui s’allongent gonflent les bourgeons, les nuages en dentelle qui font leur danse dans le soleil.
Je regarde cela, les mots nomment la vie qui nous enlace, qu’on ne peut tenir, qui nous traverse et puis s’en va.

Sait-on seulement si les mots nous aident à partager le monde, et même à le décrire dans ce qui serait peu ou prou son identité ? Si la peine d’écrire nous assure de quelque solidité – l’affirmation de la maison comme une éternité, le rituel des saisons et la terre ameublie sous tes efforts ?

Entre les mots, je cherche ce qui coule presque à mon insu pour l’offrir à tout va, comme une profusion contre l’absurdité, je cherche ce qui peut naître d’humanité, le filet fragile qui nous ferait dignes de la vie. Dignes de ce tissage entre nous qui coud la rumeur du monde à ce qui est un peu plus que nous-mêmes. Entre les mots je guette ce qui vient d’eux et ce qui les dépasse, leurs sens et leurs musiques, leur élégance. Et l’aptitude qu’ils ont à se dépasser l’un dans l’autre, à révéler qu’à chanter ensemble, ils chantent plus qu’eux-mêmes, et plus même que leur rapport à la terre.

On ne sait rien des mots vraiment, il faut sans doute longtemps les écouter, apprendre leur patience et l’incertitude de ce qu’ils nomment. Rien n’est jamais vraiment certain dans ce qu’on écrit du monde. On ne sait rien de lui tout à fait, ni de la précarité des mots, ni de ce qu’ils suscitent en nous. Cette soif de l’amour absolu qu’on voudrait tant dévoiler par les mots, même à peine, même en lambeaux. Juste dans le regard d’un enfant, la totalité de la confiance en ses années. Juste pour échapper à l’innommable, à la cruauté des uns sur les autres qui fait la force.

C’est la lumière de mars et tes mains sur la terre, les fleurs sur les étendues d’herbe et dans les branches des futurs fruits. Les mots du vivant régénérés encore, malgré le peu d’attention qu’on lui porte. Entre eux, ce qui n’est pas tout à fait une promesse, ou les bribes d’une parole, entre eux, ce qui se tient, qu’on ne peut pas comprendre autrement qu’en se livrant à leur écoute.

Écriture 15 mars 2022