Sur la première image, à Fontaines d'Ozillac, on dirait une danse. Deux corps qui se tiennent à peu de distance, un peu courbés. Deux vêtements longs, semblables. Les pieds en mouvement, les corps qui tournent, les bras enlacés qui se tiennent, on voit les mains, les doigts.
Et puis les visages, agrandis hors de mesure, car c'est là l'essentiel de l'image. À gauche, on pressent que c'est la femme – est-ce la chevelure ou la rondeur à peine des joues ? À droite, l'autre visage, plus allongé, portant peut-être une barbe. Mais rien n'est certain, la sculpture est sommaire, imprécise presque, comme levée de l'informe sans qu'on l'ait complètement mise au monde. Pourtant, l'un et l'autre sont pris par leur étreinte : il y a le visage un peu penché de l'homme, leurs bouches à tous deux, ouvertes à cet échange intérieur des corps, à cette attente peut-être du désir. On voudrait que l'image révèle plus encore de cet échange amoureux, mais les regards sont à peine esquissés, ils se noient dans le brut de la pierre comme le reste des visages. Rien n'est certain, cela semble être un amour, ce pourrait être une douleur, une consolation. Ou peut-être même une contrainte. L'imagier montre les corps ensemble, il laisse le doute. L'image est emplie de l'incertitude des relations humaines.
Le second modillon, bien connu, est à la corniche du portail sud d'Aulnay. Les deux corps ici se touchent, et les bras qui se tiennent collent les visages l'un à l'autre. Les lèvres sont proches du baiser mais ne l'esquissent pas. En bas, les corps nous font face, mêmes vêtements longs aux plis juste tracés, mêmes petits pieds. Et les visages aussi sont semblables – même chevelure, même arrondi, même forme des lèvres – même si l'un est de face et l'autre de profil. En fait, l'image est neutre, épurée si l'on veut, et c'est sans doute la volonté de l'imagier. Homme et femme, homme ou femme, on ne sait pas. À peine devine-t-on le galbe plus marqué d'une hanche. Seul le geste compte, et le rapprochement des corps, les peaux ensemble. Et si les visages ont des courbes minimes, ce qu'ils expriment de densité intérieure est remarquable. Comme à Fontaines d'Ozillac, l'imagier célèbre l'intensité amoureuse. Et ce qu'il cerne à travers ces deux êtres un peu fragiles, un peu jumeaux, c'est que l'amour dépasse toutes les différences. Qu'il est, somme toute, à la fois en nous et hors de nous. Intangible.
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