Le portail de la petite église de Nuaillé comporte deux voussures. La voussure externe raconte l'enfance du Christ. À son sommet, Marie et son enfant, et à côté, trois personnages, debout, qui avancent vers la jeune mère et son fils, lui portant des cadeaux. Ils viennent d'Orient, nous disent les textes, ils ont suivi dans le ciel un astre qui les guidait vers cet enfant singulier, qu'ils prenaient pour un roi puissant. Ce sont des mages, des savants sans doute de ce temps-là, qui savent lire les étoiles.
C'est le premier d'entre eux qui est sur l'image. Il marche, il porte en avant son cadeau, posé sur un linge précieux dont on voit les plis descendre jusqu'à ses genoux. On devine aussi la richesse du vêtement, ses motifs de broderie peut-être. L'homme est couronné, car ces mages d'Orient, croit-on, sont aussi des rois. Il porte un collier de barbe. Bien que peu modelé, le visage intrigue par son extrême présence, l'indécidable de son expression. Effort, attention, recueillement, douleur presque, comment qualifier ce regard tendu, ces lèvres étranges, cette maigreur des joues ? On dirait cet homme tourmenté, alors qu'il arrive au bout, au but, de sa quête. L'autre image est à la corniche de l'abside, à Varaize, quelques kilomètres plus loin, et vers la même période. C'est un musicien qui joue une sorte de harpe. Quelques traits marquent ici aussi le souci du détail : les chaussures du personnage, le système d'attache des cordes au sommet de l'instrument. Mais c'est le visage, là encore, qui frappe par son étrangeté. Pas de couronne, mais une chevelure soigneusement dessinée, dont la courbe accompagne celle des yeux. Et surtout, il est, ce visage, dans la même ambiguïté qu'à Nuaillé. Traversé par l'inquiétude, il est en même temps absorbé par son geste. Effort de produire et d'écouter la musique. Le musicien, comme le mage, est au bord de l'abîme, et son visage également allongé, penché sur sa harpe, semble guetter en lui des profondeurs qui le dépassent.
Deux images si proches dans ce rendu de l'expression et de la présence, qu'on imagine que c'est le même imagier qui les a fait naître, après avoir travaillé sans doute auparavant au chevet d'Aulnay. Au-delà de leur contenu, de leur contexte, certaines images romanes, encore anonymes, nous interpellent autrement pour ce qu'elles sont : des œuvres marquées du signe de leur créateur.
|
|