À peu près au même moment où je découvrais le textile avec Monique, j'ai commencé de me passionner pour l'écriture.
Ce fut d'abord, quelques années plus tôt, la découverte de la poésie de René-Guy Cadou et de Paul Eluard, durant la vie estudiantine à Lille, puis le surréalisme, Yves Bonnefoy, René Char et tant d'autres. L'écriture poétique m'a été essentielle, une sorte d'accès privilégié à cet “ arrière-pays ” célébré par Yves Bonnefoy, une manière de creuser un autre pan de l'expérience du monde que la modélisation scientifique, qui m'intéressait mais qui limitait l'approche du réel.
Le hasard des publications en revue poétique me fait rencontrer Luc Bérimont, qui devient un ami. Sans son appui et sa confiance, peut-être n'aurais-je pas continué d'écrire, et de creuser, au-delà des poèmes eux-mêmes ce que le chant des mots peut apporter aux diverses facettes du regard. Ce site web fait écho largement à ces claviers de l'écriture, celle sur le patrimoine, l'art roman d'abord, puis l'art arménien, mais aussi celui des terres d'Islam.
Aborder l'écriture sur le textile avec ce livre dense sur l'ikat n'est pas qu'un retour à d'autres expériences plus anciennes, du temps de Textile/Art. L'exploration des patrimoines de pierre, qui semblent tant solides, m'a fait mieux comprendre le patrimoine textile, qui semble si fragile. Tout comme le rôle ambigu que la globalisation assigne au patrimoine m'a sans doute ouvert les yeux un peu plus sur la dissolution rapide des cultures vécues de l'ikat au sein des sociétés dont naguère encore il était un pilier essentiel.
Même si son rôle est quasi complètement oublié chez nous, le textile a été, avant et surtout ailleurs, une sorte de modèle universel vécu concrètement par l'humanité, et ce depuis des millénaires. Parmi les grandes avancées du Néolithique, il y a l'apparition du tissage, cette opération qui prend appui sur le binaire (le fil pris ou laissé pour l'entrelacs) pour le coder et créer des motifs d'assemblage qui font tissu. Et, quelque temps plus tard, celui de ces teintures par réserves qui créent une sorte d'alphabet de couleurs sur des fils. Des discontinuités qu'on assemble, qu'on relie, à partir desquelles on crée des agrégats visuels très complexes... Ces gestes mentaux très anciens, cette création si lente du textile, que les peuples ont perçus bien souvent en opposition avec l'acte d'image, ont-ils quelque pertinence pour nous aider à penser le monde d'aujourd'hui qui se construit ? Il m'a semblé que oui : le livre Ikats, tissus de vie est sous-tendu à la fois par un hommage à cette aventure humaine de l'ikat et par ces questions sur ce qu'on peut en apprendre.