C'est au-dessus du village de Lanville, une silhouette romane familière, presque massive, posée dans un après-midi d'automne au bord d'un champ labouré.
Tout autour
Auprès, ce sont les hauts murs, une abside romane imposante, comme une farouche volonté d'être encore présent, d'exister, malgré ce qu'on devine de mélanges, d'abandon. La façade du transept sud est gothique. On fait le tour, on passe parmi les ruines du cloître, des bâtiments conventuels : les arcs qui tiennent encore contre les vents et les pluies, et la lumière des champs voisins à travers eux, qui monte jusqu'au cœur et le serre. Malgré soi, toute ruine lève en soi la douleur, elle dit, au-delà de chaque mort, la fin d'une culture, d'un chant commun.
Côté ouest et côté sud, rien, comme si on avait voulu voiler cette blessure de l'histoire qu'on vient de parcourir. Seulement des contreforts, des murs, comme des remparts. Dont on croit peut-être qu'ils vont garder ce lieu pour l'éternité
Entrer
Comme souvent, il faut entrer pour éprouver vraiment le corps de pierre. Entrer dans l'église, c'est entrer en soi, c'est sans doute ce que voulaient les bâtisseurs romans, que le dehors s'évanouisse, pour être face à soi-même. Et quand on entre, l'ampleur couvre le corps, on ne s'attend pas à une telle sensation d'espace agrandi, accentuée encore par l'avancée de l'ancien chœur jusqu'à la croisée du transept, comme une sorte d'esplanade aux larges dalles, qui fait écho au volume du cul de four de l'abside qui semble immense.
On se dit que c'est le génie de cette architecture, de produire de l'immense avec du mesuré, d'y emporter le corps et de le renvoyer à lui-même quelques instants plus tard, quand on se surprend à se questionner sur sa propre finitude. Alors, imprégné de l'espace, le corps entre dans le rythme de l'arcature, dans le flux de la lumière, il se raccroche aux signes.
Aux chapiteaux du chœur, la sculpture est dense, fouillée, mais semble besogneuse et presque artisanale. Ces mélanges d'oiseaux, de quadrupèdes et de visages humains, cet enlacement multiplié du vivant manquent de la force qui emporterait ailleurs le regard. Une sorte d'éclat terni, sans qu'on sache si le manque vient de l'imagier ou du temps qui a passé sur les reliefs, en les affaiblissant.
On se retourne, et dans la lumière qui vient du sud du transept, un chapiteau encore, végétal : une simple composition de feuilles d'acanthe, mais claire, qui affirme la montée de la force vitale, la souplesse de la plante et les interactions multiples entre les feuilles. L'imagier y a mis juste ce qu'il faut d'abstraction pour que le mouvement d'élévation, de dynamisme soit premier, ce qu'il faut d'ordre pour l'apaisement, et ce qu'il faut de représentation pour qu'on se sente familier de ce qu'on voit.
Dans les vicissitudes de cet édifice, au-delà des mélanges, il y a donc des éclairs de génie. On ne sait pas vraiment qui a fondé ce prieuré vers 1120, peut-être le fameux Girard II, évêque d'Angoulême et légat du pape en Aquitaine, ni qui a fait bâtir cette église Notre-Dame, sans doute un peu plus tard. Dehors, il reste côté sud un enclos de bâtiments, dont les salles voûtées en sous-sol sont magnifiques. Dans la grande cour, maintenant que la petite communauté qui occupait ces lieux récemment encore s'en est allée, tout semble désert, en attente. En attente de quel chant fertile pour ce temps à venir ?
Une citation
Si l'abside est assez austère à l'extérieur, malgré la présence d'une corniche avec quelques modillons sculptés et de fenêtres à colonnettes, l'élévation intérieure ne manque pas d'élégance, avec son arcature portée par des colonnettes aux chapiteaux sculptés dérivant de l'art de la cathédrale Saint-Pierre.
Christian Gensbeitel, Promenades romanes en Charente, Geste éditions (2010)