Airvault, c'est la vallée d'or, nous dit l'étymologie du lieu. Pourtant, après s'être rangé à mi-pente, la descente vers ce grand clocher incongru semble étrange.
L'édifice
Le chevet, dans son emmêlement d'absidioles, ses niches, la variation de ses fenêtres offre au regard sa puissance et cette sensation imperceptible de formes hybrides. Comme si la force de l'architecture reprenait son souffle, en se déclinant autrement. On tourne, on va vers l'ouest. Autrefois sans doute lieux de vie, et qui tissaient avec l'édifice une intimité subtile, les entours de l'église sont aménagés maintenant, lissés. À force de mettre en exergue le patrimoine, on l'assèche, on le coupe de ses mémoires, de ses sources.
Devant la façade ouest, on oscille entre la grandeur et l'incertitude : ajoutée en avant de l'édifice dans la seconde partie du XIIe siècle, elle porte des asymétries, les restes d'une grande statue équestre. Présence ambiguë de la puissance, de la richesse peut-être de ce lieu, qui ne sait affirmer vraiment une cohérence.
Il faut entrer, passer le narthex, ses piliers massifs, ses arcs lourds pour atteindre une ampleur où le corps résonne, s'ouvre à l'ailleurs dans une quête douce. Pourtant la voûte n'est pas romane, elle date du XIIIe siècle, quand les moines couvrent leur église en style de l'époque, celle des Plantagenêts. Mais les nervures sont légères, elles font au sommet intérieur de l'édifice comme un chant tranquille, qui n'entrave en rien l'élan retenu de l'architecture romane.
Images
On se laisse aller alors aux images, qui sont ici variées, puissantes, et pourraient parfois sembler étrangères les unes aux autres. Mais la cohérence de l'espace les rassemble. Nous les parcourons dans la quiétude, dans une admiration presque distante, éblouis des styles, des virtuosités.
Au transept nord, le tombeau du premier grand abbé, Pierre de Saine Fontaine, le bâtisseur de l'abbatiale. Ce nom d'abord, saine fontaine, que je mets en écho sans raison avec cette abbatiale proche de la fontaine, au creux de ce val doré. Et la pierre tombale et ses images : neuf personnages qui ont perdu leur visage, figures absentes, silhouettes de pèlerins, de prêcheurs, d'hommes du temps aux vêtements ouvragés. Chacun est juché sur un socle, inséré entre deux colonnes et sous un petit arc en plein cintre. Et tout autour de riches motifs. On couvre la mort de ces personnages en rythme, au cœur de la forme fondatrice de l'architecture.
La tombe est au sein d'un enfeu. Au-dessus de lui, une rangée de modillons : frustes visages d'hommes qui interrogent l'homme qui passe, de leurs traits sommaires, entre l'angoisse et la sérénité.
Et puis des chapiteaux à foison, en haut des grandes piles, dans la nef, dans le chœur : des travaux des mois des paysans jusqu'à Adam et Ève, de la luxuriance du vivant au végétal ciselé, fouillé dans ses reliefs et ses rythmes... On puise dans les déclinaisons des images, on sait qu'on ne les épuisera pas, on va et vient, bercé par le regard. On brode, à la fois l'espace, la pierre et le temps.
Une citation
Les scènes sont animées par les drapés et le flottement des étoffes, le geste des bras et des jambes. Même s'il a trouvé son inspiration dans quelque image peinte, [le sculpteur] a su traduire ses propres émotions. Son traitement des personnages le révèle ; il n'est que d'observer le corps tassé d'Ève repentante...
Marie-Thérèse Camus, Élisabeth Carpentier, Jean-François Amelot, Sculpture romane du Poitou, Picard (2009)