C'est juste avant la Loire, juste avant un autre monde, là où les derniers échos du midi, de sa lumière viennent guetter le soleil.
La façade
Quand on arrive, la façade pourrait à l'œil rapide sembler banale presque, modeste, tant la masse sombre du granit s'impose, et les deux contreforts, et le registre supérieur, nu. Mais vite la surface claire prend le corps, celle du portail – il fait comme une découpe nette, étrange, un rectangle qui va des chapiteaux en bas jusqu'à la corniche des modillons là-haut. Étrange, parce que les supports des chapiteaux, ces colonnes qui montent du sol, sont en granit sombre, appareillées pierre à pierre, et que les chapiteaux, les voussures, les écoinçons semblent flotter dans un espace à part.
On comprend quand on s'approche, à voir le grain de cette pierre blanche, et certaines figures parfois dissoutes presque par les siècles, qu'on a cherché une matière tendre pour faire ici les images qu'on souhaitait, fouillées, qui cherchaient à dire mieux le message. Mais ce tuffeau qu'on a fait venir sans doute de Thouars ou du Val de Loire proche, dit aujourd'hui aussi le temps blanchi, comme les cheveux d'une vieille qui rayonnent d'une intense beauté mais si fragile.
Les anges, les saints, les vertus, les vierges
Au-dessus des voussures, de chaque côté, à peine des silhouettes, filiformes, lissées, dépouillées de leur corps. La pierre qui se meurt serre parfois le cœur, la pierre est comme l'humain.
Et l'on se tourne alors vers les voussures, là où l'image s'accomplit encore, dans sa précarité. On s'approche des anges, des saints, des vertus, des vierges, on voit ces corps, leur élégance extrême et leur chant si puissant, si friable, si proche. Rien ici qui soit monumental, rien qui altère cette danse des corps qu'en cette moitié du XIIe siècle, on sait maintenant magnifier, faire sveltes et doux, fluides, accrochant la lumière.
Plus près d'eux, c'est la parenté de ces corps avec ceux d'Aulnay qui remonte dans la mémoire, les mêmes galbes, les mêmes plis des vêtements, les mêmes postures aussi, et plus encore dans ce que renvoie l'image dans sa globalité, cette sorte d'adhésion à l'être représenté, quasi la même. On a dit que c'étaient les mêmes imagiers qui, après leur chantier d'Aulnay, étaient venus ici, sur la requête peut-être des moines de Saint-Jouin de Marnes, qui avaient en propriété cette église Saint-Gilles.
Pour autant, ces sculptures ne sont pas des copies serviles, elles portent le vent de la création, mais elles font toucher du doigt ce qu'est un territoire, dès le XIIe siècle, la circulation des hommes et des idées. Et l'on se prend à imaginer cela, comment ce chantier a pris corps, pourquoi on a pris ce site d'Aulnay comme référence, quelles furent les échanges, les questions entre les clercs et les imagiers, pourquoi on fit ici des corps plus allongés, plus fluides encore...
Une citation
Les programmes des portails d'Argenton et d'Aulnay sont en conséquence très semblables. Organisés sur des ensembles de voussures de respectivement cinq et quatre niveaux, ils sont centrés sur l'Agneau de Dieu et d'autres images du Christ, et comprennent les thèmes nouveaux ou rares auparavant du Combat des Vertus et des Vices, de la parabole des Vierges sages et folles, et des cycles complets des signes du Zodiaque alternant avec les Travaux des Mois.
Anat Tcherikover, High Romanesque Sculpture in the Duchy of Aquitaine, c.1090-1140, Oxford University (1997), traduction R. Prin