Bussière-Badil, Limousin
Chapiteau de la nef
Rétaud, Saintonge
Chapiteau pilier de la façade ouest
Melle, Poitou
Église St-Savinien, voussure du portail sud
Besse, Limousin
Adam et Yahvé, portail ouest
Lamairé, Poitou
Oiseaux à la nacelle, chapiteau portail ouest
Oloron Sainte-Marie, Béarn
Vieillards de l'Apocalypse, portail ouest
Nuaillé sur Boutonne, Saintonge
Un roi mage, portail ouest
Moissac, Quercy
Visage de saint Paul, trumeau du portail
Vouvant, Vendée
Modillons de l'absidiole nord
Aubeterre sur Dronne, Angoumois
Chapiteau du portail ouest
Poitiers
Façade de Notre-Dame la Grande, la Visitation
Argenton les Vallées, Poitou
L'Époux et une vierge sage, portail ouest
Aulnay de Saintonge, Poitou
Visages des vertus, portail ouest
Saintes, Saintonge
Abbaye aux Dames, arcade latérale
Beaulieu, Quercy
Le Christ, tympan du portail
Rioux, Saintonge
Arcature façade ouest
Civray, Poitou
Zodiaque, les Gémeaux, portail ouest
Lichères, Angoumois
Voussure du portail ouest
Angoulême
Un ange, façade de la cathédrale
Marignac, Saintonge
Chapiteau de la croisée du transept
Souillac, Quercy
Visage d'Abraham, ancien trumeau

Les monstres, la violence,
les images en réseau
sur l'édifice.

La rigueur des modèles,
l'imaginaire,
la création...

Quel écho de l'art roman
n'est pas contemporain ?

On vient ici dans la campagne florissante et la chaleur de mai, et c'est cela d'abord qui emplit le corps.

Vue d'ensemble du porche Des fleurs des acacias, de la marée longue des arbres, des foins fraîchement coupés sur les parcelles, jusqu'à l'immensité ondulante des orges, jusqu'aux milliers d'épis qui naissent dans les champs de blé, cette campagne des bords du Quercy dit ici un chant millénaire d'humanité. Comme celui des pierres romanes, se dit-on d'évidence, né lui aussi en même temps ou presque que ces paysages, que les villages. La même évidence qui associe la Toscane, ses couleurs et sa lumière, au génie de Giotto ou de Piero della Francesca. Peut-on dissocier le patrimoine de son territoire ?

 

Histoire

Ce lieu fut nommé beau, Bellus locus, vers le milieu du IXe siècle, par le fondateur du monastère, un certain Raoul de Turenne. Il est archevêque de Bourges et s'empresse pour sa fondation, lui trouve des protections, des donations, des reliques... Le monastère se développe, il intéresse Cluny, qui le prend sous sa coupe à la fin du XIe siècle. Beaulieu rayonne, une ville se crée autour de l'abbaye. Puis les épreuves, les guerres, de Cent ans et de Religion, et leurs saccages. Puis un certain renouveau avec la Congrégation de Saint-Maur. Restent six moines en 1790, quand la Révolution vend les bâtiments monastiques comme bien national. Un parcours ordinaire d'une abbaye en France au long de l'histoire. L'église, qui devient paroissiale, est épargnée.

Le tympan

Un ample volume, une déclinaison harmonieuse des absidioles au chevet, des modillons à l'abside parfois savoureux, on pourrait détailler ici bien des pierres romanes. Mais il y a un chef-d'œuvre, cet immense porche au sud, avec tympan, trumeau et sculptures latérales. Même structure qu'à Moissac avec lequel il a quelque parenté. Mais le grès qui fait les reliefs oscille entre le gris très clair et l'ocre, donnant aux scènes une transparence et une densité particulières. Une sorte de bienveillance même, quand Moissac décline la matière sombre de l'Apocalypse.

Le thème du tympan est la seconde venue du Christ, à la fin des temps. Toute la partie haute est consacrée à la vision de celui qui revient, embrassant le monde céleste et terrestre. Au centre, le Christ donc, assis frontalement face à celui qui regarde, les bras en croix. Juste derrière lui, sa croix, portée par des anges : l'imagier crée ainsi un décalage qui fait dynamique à la composition. Le visage du Christ, parfaitement symétrique, yeux clos, lèvres entr'ouvertes, exprime une rigueur sereine, l'ordre nouveau peut-être. Il prend en charge tout le fourmillement du vivant qui l'environne : les anges dans les nuées des cieux, d'autres près de lui qui sonnent la trompette du jugement à venir, puis les apôtres en pleine conversation de chaque côté de ses bras, et, plus bas, quand on descend vers le niveau de la terre, des hommes qui ressuscitent, soulevant le couvercle de leur sarcophage, et d'autres aux vêtements étranges qui soulèvent leur jupe, montrant leur circoncision. Ce sont des Juifs se rappelant la promesse faite jadis à Abraham. L'univers des élus est ainsi densément peuplé, hiérarchisé, lisible.

Deux strates complètent en bas le tympan. Sur l'une, de deux gueules monstrueuses jaillissent de chaque côté des animaux qui dévorent un damné. Les silhouettes ici sont écrasées, allongées, comme racornies entre les bordures qui font limite à leur espace. Sur l'autre, qui forme le linteau du tympan, en superposition des rosaces décoratives, des monstres infernaux, dragon à multiples têtes, monstre à tête humaine et corps de serpent. Les êtres de l'enfer disent l'horreur, creusent l'angoisse, appellent à la repentance.

Le tympan Tympan, le Christ et la croix Tympan côté ouest, apôtres dont Pierre Tympan côté est, les ressuscités Tympan côté est, les juifs témoins
Tympan côté ouest, l'enfer, un damné aux prises avec des monstres Tympan, l'enfer, dragon et animal monstrueux Trumeau face est, le vieil homme supportant l'univers Porche, mur latéral ouest, Daniel et les lions Porche, mur latéral est, deux démons

 

Le trumeau

Sur le trumeau, des personnages sur chaque face supportent avec effort l'univers figuré plus haut. À gauche, deux très jeunes hommes, juchés l'un sur l'autre. Sur la face avant, un homme encore jeune aussi, corps encore droit, mais dont le visage, tout courbé en haut de la pierre, appuie avec ses mains pour que l'ensemble tienne. Enfin, à droite, un vieillard, le plus pathétique, corps affaissé, incrusté dans le pilier, tendu dans sa lassitude extrême, et dont le visage, tout intériorisé, montre à la fois les épreuves de l'âge et la ténacité.

Murs latéraux

Aux murs latéraux du porche, après avoir longtemps parcouru le tympan et le trumeau, on s'arrête aux grandes scènes, abritées par des arcs en plein cintre et des colonnettes. Côté ouest, cet homme assis avec sérénité sur un fort animal, le visage un peu penché, et qui côtoie d'autres animaux, c'est Daniel – son nom est gravé dans la pierre – aux prises avec ses lions dans sa fosse. En face, devant les silhouettes décharnées et si expressives des démons, à côté d'un Christ et d'un grand édifice, on reste sans évocation. Il faudra, plus tard, les livres, pour comprendre qu'il s'agissait de la Tentation du Christ. Expérience étrange des images devant lesquelles on reste parfois aveugle, hormis cette beauté, cette émotion sans objet, comme mutilée. Que deviendrons-nous, bientôt, dans cette dissolution du sens des images qui s'annonce ?

Une citation

Le génie du maître de Beaulieu, génie trop souvent contesté ou ignoré, se révèle avec force dans sa manière de ménager des passages ou au contraire de souligner les effets de rupture, art dans lequel il excelle. [...] La croix qui apparaît à la droite du Christ se soustrait également à l'axe médian ; elle est faite de branches de longueurs inégales dont l'une, la plus importante, est encore prolongée par un ange, volant horizontalement et présentant une couronne. Si l'on excepte le groupe central, celui du Christ, il n'existe donc aucune véritable symétrie entre les parties droite et gauche du tympan. La tension dramatique est d'autant plus vive qu'est sensible de toute part la volonté farouche de rompre ou de détruire une distribution régulière, un instant adoptée et aussitôt démentie.

Yves Christe, Les Grands Portails Romans, Droz (1969)