De celles-ci, on voit les corps entiers au long de l'arc, qui tendent vers vous, l'une après l'autre, qui cherchent à vous approcher. Vous êtes au centre, comme une figure ultime, mais l'imagier vous a fait émerger d'une corolle de nuages peut-être, on ne voit de vous que le buste et le visage. Il vous a mis sous un abri de pierre, comme protégé du monde, séparé de lui, des jeunes femmes à côté de vous.
Vous êtes au centre du monde, une figure du divin, la croix derrière votre visage le dit, et toute l'histoire que l'on met ici en images un millénaire après qu'on l'ait écrite. L'histoire de jeunes filles qui partent à la fête des noces et qui vont attendre longtemps dans la nuit que l'époux vienne et leur ouvre la porte des réjouissances. Vous êtes arrivé donc, tardivement, et vous avez fait entrer dans la fête celles qui étaient là, qui avaient veillé pour vous, qui avaient prévu la longue attente, abreuvées de leur patience comme seules savent l'être les femmes. Plus tard encore, d'autres, désemparées dans la nuit, parties chercher ailleurs la lumière enfuie de leur lampe, sont revenues toquer à la porte, vous supplier d'ouvrir, qu'elles puissent elles aussi danser, chanter, se réjouir avec les autres. Mais vous avez gardé la porte close, et même, à elles que vous aviez invitées pourtant, vous avez dit : " Je ne vous connais pas ".
C'est vous qui êtes là, au centre, l'époux inflexible qui séparez les jeunes filles prévoyantes et les autres. Et au-delà, celles et ceux qui agissent selon le bien et les autres. Comme si cela était simple, le bien, le mal, et de prévoir, et de veiller longtemps, longtemps parmi la douleur du monde, dans l'attente de l'improbable. Vous êtes face à nous, vous avancez vos bras, on se demande si c'est votre vêtement qui fait l'ampleur des manches ainsi, accentuant votre séparation d'avec celles qui vous entourent. Vos mains que le temps a détruites disaient certainement l'autorité, le péremptoire de la parole - " Je ne vous connais pas ".
Alors on s'intéresse à ce qu'on voit de vous. Les épaules à la rondeur mesurée, que vos cheveux qui tombent sur elles adoucissent encore. Les courbes de votre tunique, parmi les imprécisions de la pierre érodée. Mais c'est votre visage qui compte, malgré là aussi les attaques des siècles. L'imagier vous a-t-il créé lisse de peau ? Le port altier que vous avez, mais sans excès, comme une sorte d'ascendance mesurée sur le monde et les hommes, est aujourd'hui labouré d'une pathétique souffrance humaine. Vous êtes impassible, mais comme atteint au tréfonds de l'être, de devoir n'admettre dans la félicité du royaume qu'une part de l'humanité. On se prend à croire que l'imagier a cherché le tourment de votre part humaine, dont seul le visage fait trace. Des siècles avant, la même quête que celle de Giacometti s'échinant des années durant à cerner l'essence de l'humanité au cœur des visages.
On regarde les autres images, et on revient vers vous. On a l'impression, comme devant tout chef-d'œuvre, d'une plénitude qui vous comble, et d'une immense blessure qui vous déchire. Vous et nous, plénitude et blessure, intensément. Vous êtes notre double, un époux qui fait les noces avec tout l'univers, écartelé par ses malheurs. Et par cette finitude humaine qui vous constitue, vous aussi.
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