C'est le texte de Matthieu qu'on met en scène. Et ce qu'invente l'imagier d'Aulnay, c'est une nouvelle présence des corps de femmes, agrandis, fluides, encore baignés de l'irréel.
Comme toutes les images puissantes, celles-ci font émotion, et modèle, qui se propage, vient au jour autrement. L'imagier creuse la pierre avec le vouloir d'approfondir, de dépasser, de faire naître mieux.
Nous sommes à Civray, une ou deux décennies après le chantier d'Aulnay. L'imagier grave dans la pierre la même histoire. Les corps des femmes occupent trois ou quatre claveaux de l'arc, comme à Aulnay. Les vêtements se ressemblent, les lampes à huile aussi. Et les manières même de les tenir : bien levées contre la poitrine pour les vierges prévoyantes qui ont gardé de l'huile, retournées vers le bas pour les autres, insouciantes, qui n'en ont plus. Mais c'est pourtant un autre monde que ces images nous donnent.
Il y a d'abord le corps lui-même. Le galbe des cuisses prononcé, que les plis du tissu soulignent, se coulant dans l'entre-jambe avec une légèreté soyeuse. La rondeur du ventre, celle devinée de la poitrine, et la souplesse même de la silhouette, doucement ployée sur les jambes, tant qu'on le dirait prêt à s'extraire de la pierre, ce corps, à s'élancer vers le monde, à raconter à ceux qui passent sa propre histoire.
Il y a les détails que l'imagier désormais met au monde : le feston au col du vêtement, les plis élaborés du voile qui enveloppe les cheveux, les finitions au poignet... On ne les voit pas d'emblée ces détails, ils sont fondus dans l'ensemble de l'image, dans ce qu'elle nous renvoie, de présence humaine, de cette nouvelle réalité qui se fait plus intense, plus tangible, dans l'immédiat du regard et sans qu'on sache réellement pourquoi l'image ainsi s'impose.
Il y a enfin le visage de la vierge. Devrait-on dire les visages ? Ou le même visage interprété différemment comme on fait de la musique pour qu'elle s'exprime en plénitude ? Plusieurs vierges côte à côte, plusieurs visages mais si proches. Une seule quête de l'ovale en perfection, l'imagier ne figure personne, il cherche l'accompli de la joie – ou du désarroi pour les vierges folles. Il cherche ce qu'on ne peut dire devant un visage, qui en fait la puissance, qui le met à l'unisson de l'univers. Il cherche ce qu'il y a derrière la pierre et la lumière et qui dira à ceux qui passent la profondeur d'humanité, tout autant que ce récit des vierges.
En cette fin de période romane, ce qu'il célèbre l'imagier de Civray, c'est la femme dont le corps et le visage donnent accès à la beauté du monde. La femme qu'on commence alors de découvrir, celle qui suscite la parole amoureuse. Comme le troubadour, l'imagier invente un nouveau monde.
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