Vous, une vertu parmi les six qu'on voit sur un arc du portail. Qu'est-ce qu'une vertu ? De nos jours, un grand mot, l'espérance, la charité, l'humilité... un de ces mots qu'on a appris jadis, une sorte de cartographie du bien à faire en ce monde. Mais l'origine du mot parle de force virile, de courage. Et donc de vertus guerrières. Les mots sont comme des tiroirs emplis de mille objets, ceux qu'on devine, ceux qu'on a oubliés, au-dessous, enfouis au fin fond des mémoires.
Qu'est-ce qu'une vertu ? Les siècles vous ont enlevé l'aspect lisse de votre peau, de vos atours. Au XIIe siècle, l'imagier qui vous a faite avait certainement poli le calcaire, il est devenu granuleux, c'est comme une sorte de précarité partout sur votre corps, sur vos habits. La vertu est une femme certainement, on vous a figurée ainsi. Enfin, à puiser dans le regard seul, on se questionne : vous êtes accoutrée comme un homme, comme un guerrier, avec une épée, un bouclier bien décoré, vous semblez porter bottes et casque. Et ce sont les hommes qui font la guerre n'est-ce-pas, c'est ce qu'on a appris jadis.
Avec son épée, la vertu terrasse le vice. Lui est un monstre à vos pieds, une masse informe que vous transpercez. Est-il masculin vraiment ? L'image ne dit rien de nos questions de genre ou de sexe. L'image montre une personne – un personnage – qui triomphe d'une forme monstrueuse, à ses pieds.
Comme souvent, l'image romane vient d'une histoire qu'il faut connaître, et même avoir lue ou entendue, si l'on veut accéder à sa puissance d'image. Ce combat des vertus contre les vices est une allégorie poétique, écrite par un certain Prudence, au début du Ve siècle. Il était conseiller de l'empereur romain. Fatigué de la politique, il se retire dans sa Catalogne natale pour écrire ces batailles dans l'âme, qu'il met en scène avec force, avec flamme, le bien en nous contre le mal, qu'il personnifie en vertus, l'humilité, la chasteté... et en vices, l'orgueil, la luxure... La force de son écriture est telle que, sept siècles plus tard, les imagiers romans de Saintonge s'y réfèrent pour donner à voir à tous que l'homme peut dominer ses pulsions. Qu'au-delà des désirs primaires, il y a cette ligne de partage entre ce qui est bien et ce qui ne l'est pas.
Alors, qu'est-ce qu'une vertu ? Vous êtes habillée en guerrière, mais votre silhouette est minime, presque frêle. Vous ne semblez pas si sûre de vous. Et votre visage porte en lui, dans le grain marqué de la pierre, tout ce que la femme ou l'homme a de ténu dans ses certitudes. Pas de sourire, pas de triomphe, pas de satisfaction d'avoir gagné contre le vice. Comme si rien n'était jamais acquis. Mais un voile de douleur, ou d'angoisse. Ou peut-être en vous cette déchirure à jamais, d'admettre que la violence des vices est au cœur de vos entrailles, indissoluble, inextinguible. Et que vous ne gagnez ici que pour indiquer la voie à suivre, qu'on ne suivra jamais vraiment. Vous êtes tendue et sereine à la fois, entre l'acceptation de cette forme hideuse à vos pieds qui fait partie de vous, et cette lutte, qui vous fait plus humaine. En devenir. C'est peut-être cela, la vertu. Devenir.
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