Au tympan de Beaulieu sur Dordogne, c'est la venue du Christ à la fin des temps qui est figurée. Il est au centre de la scène, bras grands ouverts. Au bout de sa main droite, la touchant presque, un homme assis semble-t-il, jambes croisées, silhouette longue. L'homme tient dans sa main droite deux clefs, serrées contre sa poitrine et de l'autre main un livre. À sa droite, deux de ses voisins, apôtres comme lui, tiennent seulement un livre.
L'homme aux clefs est saint Pierre, le chef de la première Église. " Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux1. " Les clefs, c'est le signe qui sur ces pierres romanes le fait Pierre. Regardons-le de près, ce Pierre de Beaulieu : la silhouette est élégante, l'attitude déférente vers celui dont la main effleure son visage, et ce visage justement, tendu vers elle, concentré, yeux clos. C'est l'apôtre Pierre que montre l'imagier, celui qui a vécu avec Jésus, dans un rapport privilégié à celui qui l'a nommé bâtisseur de l'Église. Son visage est habité, peut-être par l'extrême folie des paroles du Maître et par le respect à la fois. L'image ne précise rien comme souvent, mais elle donne à imaginer cette étrange intimité entre le Christ et Pierre, lointain lien de la main au visage, et pourtant intense : les autres apôtres à côté dialoguent entre eux, Pierre est seul, seul avec cette immense main qui élève son visage.
Autre vision, à Notre-Dame la Grande de Poitiers, sur la façade qu'on a nommée grégorienne, parce qu'elle magnifie l'Église d'après la réforme du même nom. Cette Église-là, qui s'affirme, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, est-ce bien la même que celle traduite dans la vision du saint Pierre de Beaulieu ? Dans les personnages d'Église figurés à l'abri des somptueuses arcades de la façade, tout se décline autrement. Et d'abord, le faste, le somptueux justement, ce qu'on érige en signes de pouvoir sur le monde. Pierre, comme ses voisins dont des prélats, peut-être le pape de l'époque, sont placés au-dessus de l'histoire du Christ : l'Église est le passage, l'interface, entre la parole biblique et la vision éternelle figurée au-dessus. Et outre les ornements précieux des arcatures, elle montre sa rigueur, l'ordre qu'elle déploie sur le monde.
Pierre, dès lors, comme ses voisins, est montré en majesté ou presque, bénissant de sa main droite, tenant les clefs contre lui de l'autre. L'attitude est hiératique et lointaine, le visage énigmatique. Comme si la folie des premiers jours, dans le partage vécu des paroles du Christ, avait fait place à cette hauteur, cette distance, cet éloignement raisonné de la doctrine qu'on prêchait maintenant sur le monde. Pierre est le socle de cette institution religieuse qui prend force au XIIe siècle, qui se sépare du pouvoir laïc, qui devient maître chez elle et désormais régule, réglemente la parole.
1 Évangile de Matthieu, 16, 19
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