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Une image, au sens moderne qui prend comme référence le tableau de la peinture, est peu propice à prendre en compte le temps. C'est un instantané, comme on le dira plus récemment encore, de la photo.
Mais replaçons-nous à la période romane. Au XIe siècle, les grands édifices romans, comme Saint-Savin, Saint-Hilaire le Grand ou encore Notre-Dame la Grande à Poitiers, sont souvent ornés d'un décor de fresques. Et ces fresques, qui se déploient sur de grandes surfaces (voûte de l'abside, ou de la nef par exemple) le plus souvent racontent une ou des histoire(s), des épisodes de la Bible ou des Évangiles. L'image illustre le texte, se veut récit aussi, tant le religieux chrétien est d'abord un logos.
Quand la sculpture romane s'essaie aux figures, le besoin de raconter se fait aussi sentir. Mais le cadre du chapiteau est étroit : le plus souvent, on représente un instantané de l'histoire, par exemple le moment où Caïn tue Abel, ou bien celui où Adam et Ève sont chassés du paradis. Toutefois, les imagiers vont jouer des différentes faces de la corbeille du chapiteau pour y inscrire une suite d'instants. Exemple, avec la pesée des âmes, à Arces sur Gironde et Aulnay.
Le chapiteau d'Arces, comme les autres du chœur, a été repeint au XIXe siècle sans grande finesse, mais cela ne nuit pas à sa lecture. Sur le pan gauche du chapiteau, comme sortant du mur, un ange, dont on perçoit l'aile au-dessus de lui. Il tient devant lui un petit personnage, lisse et nu, c'est l'âme du défunt que l'ange conduit – main sur le ventre et sur la tête – vers son jugement. L'âme tient d'ailleurs de sa main droite un autre ange, plus grand, plus important, en habit bleu : c'est l'archange Michel, qui va procéder au jugement. Sur la grande face du chapiteau, l'histoire se poursuit : Michel tient la balance, qui contient dans une corbeille tout ce que le défunt a réalisé de " bien " durant sa vie, et dans l'autre tout le mal. Un démon est à droite, qui cherche à faire peser la balance du côté du mal. À droite, sur le dernier pan du chapiteau, comme sortant du mur aussi, un autre démon suit le précédent : la scène du jugement se place au confluent de la vie humaine et de la foule des démons.
La mise en scène de la même histoire est similaire sur un chapiteau d'Aulnay. Le chapiteau, ici plus petit, ne permet pas de figurer les anges avec la même ampleur. Ici, à gauche, l'ange est en avant de l'âme du défunt et lui tient la main. À droite, les démons sont bien plus monstrueux, agressifs envers l'ange, et tirant carrément sur une corbeille de la balance des âmes. Mais c'est bien la même histoire.
À voir ces images, on sent bien qu'il est nécessaire, pour les appréhender, de connaître l'histoire en question. Ou, à tout le moins, de les considérer comme un support illustré à une explication orale. Ce qui était sans doute le cas, de la part des clercs qui éclairaient ainsi leurs fidèles. Mais les thèmes mis en images devaient faire partie du contexte culturel de l'époque. Et cette pesée des âmes, qui fleurit sur les édifices romans, n'est pas présente dans les écrits fondateurs, et bien peu dans ceux des Pères de l'Église. On ignore par quel canal avéré la pesée des âmes des Égyptiens – si elle en est bien la source – est arrivée sur la scène médiévale.
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