|
Et les figures romanes des bêtes traduisent cette multiplicité, elles la développent même. Le parcours dans le bestiaire des modillons est donc un enchantement : on croit parfois rencontrer un portrait d'oiseaux, parfois un témoignage étrange d'une culture d'ailleurs qu'on hésite à nommer, parfois un monstre dévorant – allégorie peut-être du mal engloutissant le bien, ou bien signe de notre humanité double. On va de surprise en surprise, sans trop savoir, sans trop de références, mais avec la sensation d'une création variée, de prouesses aussi dans la sculpture même.
Rétaud : visage d'homme et corps de bête, voici l'hybride, ce qui brise l'identité, ce qui dit que l'être est mélangé, toujours métis intimement. Mais un seul être pourtant, ce corps fusionné en ce visage inquiet qui se retourne.
Pérignac : voici l'ambiguïté. Est-ce juste un visage de bouffon ? On pressent derrière lui un corps, informe et ramassé, que prolongent deux pattes qui n'ont rien d'humain. Et ce visage, à y bien regarder, est-il purement humain ? La figure dit que rien n'est pur, que tout fait écho à autre chose. Mélanges encore, qui fascinent, plus qu'on ne les accepte.
Argenton les Vallées : le couple paisible d'oiseaux l'un contre l'autre. Et donc, le repos pour le regard, les lignes élégantes de deux oiseaux du ciel, posés là et qui vont bientôt s'envoler. Mais soudain, leurs queues ouvragées qui mêlent leur souplesse. Émerge d'elles un entrelacs, qui se tient au-devant, métaphore du végétal, que les becs des oiseaux picorent... Et le vertige reprend, de l'indécidable.
Parthenay : la dévoration. Mais qui nous mange ainsi, qui nous engloutit ? L'humain dissous, digéré par le monstre – quelques dents acérées, visage proéminent, juste ce qu'il faut pour qu'on l'imagine comme une bête, mais sans extrême certitude.
Aulnay : l'élégance du corps, la fluidité dans le geste, et un vrai visage de bête. Là encore, l'évidence première de l'image. Mais que dévore le lion ? Incertitude à nouveau, sur ce que veut l'image, sur son intention à notre égard. Et si c'était cela au fond, la leçon de cette danse des bêtes, d'affirmer que le visible n'est qu'une émergence, qu'il induit cet au-delà de lui-même qu'il ne dévoile pas. Et que nous avons à le tisser avec nous-mêmes, dans une danse infinie.
|