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Qui se répète le long d'un arc, ou d'une frise, ou sur le tailloir d'un chapiteau. Qui se répète à l'identique, ou bien avec des variations souvent subtiles, qui cherchent à montrer que, d'un motif à l'autre, tout est semblable et tout est différent.
Dans le mot motif, il y a moteur, mouvement. Même famille que motion, et donc qu'émotion, ce mouvement vers l'ailleurs, ce qui nous transporte dans l'inconnu. L'œil perçoit presque simultanément le motif et sa répétition, l'unité et le multiple. Il va d'un élément à l'autre, guidé par cette répétition du semblable qui fait chemin. Orner toute une voussure de motifs, et le regard va la parcourir, comme puisant dans le rythme sa propre énergie.
Le motif est donc, d'un certain point de vue, à l'opposé de l'image. Elle focalise le regard, l'arrête, elle est une part du réel, ou d'un virtuel qui pourrait le devenir. Lui rend mobile le regard. Et plus le motif s'étend, peuplant jusqu'à des surfaces entières, plus le regard s'épuise à le suivre, au point que ce qu'on retire de la vision parfois peut se dissoudre entièrement comme dans une matrice infinie. Le motif pourrait ne pas s'arrêter, et le mouvement du regard sur lui s'approcher de la danse extatique des derviches.
Qu'est-ce qui fait la mobilité ? La juxtaposition, mais surtout les interactions des motifs entre eux, le fait qu'ils s'enlacent les uns aux autres, qu'ils se prolongent, qu'ils s'emboîtent. Il suffit de regarder : plus ces liaisons des uns aux autres sont complexes, ou denses, comme sur la frise de l'Abbaye aux Dames à Saintes, ou les tailloirs de La Lande de Fronsac, et plus notre regard se perd, fasciné par les mille et un niveaux de l'assemblage, par cela qui se tient ensemble, sans être une entité.
Est-ce parce que la période romane développe des échanges nombreux avec les terres d'Islam ? Les imagiers, en tout cas, développent les motifs, en s'inspirant sans doute de l'Orient. Mais ils les font aussi dialoguer avec l'image, mettant côte à côte ces deux versants du visuel, qui nous interrogent profondément l'un et l'autre dans notre manière de voir. D'un côté, l'image en émergence, qui deviendra en Occident la représentation, le miroir du monde. De l'autre, cette mise en valeur du système, de la cohérence, de la multiplicité, que les arts de l'Islam porteront à leur apogée.
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