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La première, c'est que les formes végétales se prêtent bien à l'entrelacement, au prolongement d'un motif à l'autre. Elle sont souples, et la nature végétale elle-même produit dans les plantes et les feuilles des motifs qui s'agrègent les uns aux autres.
Pour autant, l'imagier roman ne reproduit pas le végétal tel qu'il se trouve dans la nature. Si telle ou telle plante est à la source des motifs – la palmette, la feuille d'acanthe, mais aussi la fleur de marguerite comme au portail de Saint-Pierre de l'Isle – elle est notablement transformée et parfois on peine à la reconnaître. Ce qui compte, c'est en quelque sorte la mise en réseau visuel, les effets possibles de rythmes, l'ordre du monde qu'on met au jour... L'imagier procède ainsi à une sorte d'abstraction des formes vivantes, il ne cherche pas à les représenter, il les utilise plutôt au service du décor qu'il invente en partie.
Ce qu'on voit est ainsi suffisamment familier, suffisamment naturel, pour que d'emblée on se sente proche de ces signes. Mais en même temps, le sculpteur nous met à distance, il n'y a dans ces motifs aucun effet d'image, d'identification. Il nous montre le tissage, l'assemblage, la propagation, en quelque sorte les opérations propres du réseau. Réseau visuel, lié à notre milieu naturel mais qui s'en dégage. Les motifs romans appellent donc à une sorte de conversion du regard, en tout cas de notre regard parfois trop habitué à l'image. Cette conversion pourtant, est en écho direct avec nos technologies d'aujourd'hui : le motif est une métaphore visuelle puissante de nos multiples connexions.
La seconde raison de l'omniprésence du végétal dans les motifs romans est que le végétal c'est le vivant, et qu'il possède donc en lui-même une force justement vitale.
La sève qui irrigue les plantes, les fait grandir, peuple d'un certain point de vue leur " incarnation " en motifs. Ce qui court sur les arcatures, les voussures, à travers les frises, c'est aussi cette respiration du végétal au long des saisons, ce frémissement qui le porte, le courbe, l'assemble. Tout est beauté à l'époque romane, l'homme puise dans le monde qui l'entoure le chant dont il vit. Et le végétal, transformé et magnifié par l'imagier, insuffle au chrétien d'alors l'énergie de son salut.
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