Il y a les coiffes, et il y a les marottes, qu'on prend au premier abord pour de simples faire-valoir, un support indispensable certes, mais bien secondaire au regard des complexes architectures de dentelles et de broderies...
Mais pourtant les marottes font rêver, car d'un support anodin, fonctionnel, elles sont devenues des visages de substitution, ces coiffes sans visages en ont emprunté un, lisse, artificiel, drôle, surprenant...
Le mot d'abord
Il entre dans notre langue au XVe siècle, nous disent les dictionnaires, pour désigner une sorte de sceptre fait d'un bâton, surmonté d'une tête de poupée coiffée d'un capuchon. C'est l'attribut de la Folie, que les fous du roi notamment brandissaient. Et le sens du mot a glissé peu à peu vers cette idée de manie, un peu décalée, nous avons tous nos propres marottes...
Mais dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on a commencé de confectionner des bustes en carton pour supporter les coiffes, et le sens a glissé, de la tête de poupée vers celle d'une femme. Aurait-on voulu dire par là que porter une coiffe était une vraie folie ?
Mais d'où vient le mot lui-même ? “ Marotte ” s'est écrit aussi “ mariotte ” en moyen français, c'est un cousin de “ marionnette ” (toujours la tête de poupée) et même de “ mariole ” (Faire le mariole). Or “ mariole ” ou “ mariotte ” a le sens premier de Vierge (dès le XIIIe siècle) ou d'image de la Vierge. Pourquoi la Vierge est-elle devenue signe de la folie ? Les linguistes ne sont pas tous d'accord là-dessus. Mais les marottes que vous verrez sur ce site ont le visage suffisamment virginal pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur ce versant de l'étymologie.
Quand on s'approche...
Quand on s'approche de ces visages en carton, ce qui frappe d'abord, c'est l'épure. La marotte n'est pas un portrait de femme, tout est lisse ici, dépouillé : le modelé des traits est à peine esquissé, ce sont des aplats de peinture noire qui font la chevelure, et quelques courbes sommaires pour les cils et sourcils. Rien de typé, et rien surtout d'un visage de paysanne, ou de bourgeoise ou d'aristocrate. De loin, on pense à une abstraction d'un visage, un peu comme la glaçure d'un masque de quelque geisha occidentale.
Pourtant, tout change dès que le regard insiste un peu, car soudain vous avez l'impression d'un être là tout près de vous, comme si derrière l'icône, dans l'imperceptible, les créateurs de ces figures avaient voulu tenter l'expression, le dialogue. Cela tient sans doute aux yeux et aux lèvres. Les premiers peuvent être de simples ronds noirs, mais aussi devenir quasi-réalistes, avec une finesse de traits, des effets pointillés et de transparence... Quant aux lèvres, qui ne sont le plus souvent que du rouge en aplat, leurs contours variés leur donnent une expression naïve certes, mais d'une grande force.
Et donc, quand on s'approche, chacun de ces visages peints sur le carton vous semble différent, chacun vous touche. Celle-ci, à la bouche mutine, dont le regard vous invite presque. Celle-là, à la joue rosée, aux yeux bleus, presque timide. Ou bien cette autre, au visage allongé, à la moue marquée de tristesse, et qui semble s'excuser d'être ainsi, figée, froide.
Il faut dire encore les enjolivures. Par exemple, l'attention portée au bas de la marotte : même s'il n'est qu'un support un peu longiligne, sans les rondeurs du cou ou de la poitrine, on y a figuré des décolletés généreux, ou bien quelques motifs à même la peau, ou bien encore un lien noué autour du cou.
Il faut dire aussi l'usure du temps, la patine qui affine la présence de ces figures, comme l'érosion sur la pierre des sculptures. Ici, ce ne sont que quelques éraflures, quelques brisures sur le net de la peau, ou parfois des pans de peinture enlevés. Mais du coup, ces marottes nous deviennent plus fraternelles, sujettes comme nous aux rides, aux angoisses qui nous creusent. Elles sont sans âge, dans la plénitude féminine, mais comme nous blessées, cernées par la douleur des jours dans leur apparence immuable.
De la matière à l'image
Toutes les marottes ne sont pas ces visages de femmes figurés sur le carton. D'autres ont été tournées dans l'argile. Et dans la forme ronde, le potier y a fait parfois une petite excroissance pour figurer le nez. Avec leur ouverture béante, elles ressemblent à quelque masque premier, signe rudimentaire qui n'évoque pas encore le visage.
D'autres encore sont façonnées dans de gros blocs de bois, qu'on a patiemment polis, rendus luisants, pour qu'aucune aspérité n'accroche aux fragiles dentelles. L'apparence est plus massive encore, l'évocation plus évasive. À tel point que sur certains de ces blocs, on y a dessiné des traits du visage, sans grand souci de féminité ni de réalisme, parce que, peut-être, voir les coiffes posées sur eux réellement sans visages était insoutenable, parce qu'il fallait au moins quelque trace même embryonnaire, quelque rêve, pour que celle qui posait là la coiffe puisse l'affiner dans un écho d'humanité.
Alors que les marottes en carton étaient fabriquées à Paris, notamment chez deux fabricants, les Ets Paindebled et Danjard, puis diffusées en province, celles en terre cuite étaient de fabrication locale. Pour le Poitou-Charentes, les modèles présentés ont été fabriqués par les potiers de La Guérinière, près de Ménigoute ou ceux de La Pagerie, près de Vasles. Quant aux marottes en bois, elles étaient vraisemblablement réalisées dans les villages, comme semble l'indiquer l'aspect un peu rustique des objets.