Quand on s'approche...
Quand on s'approche de ces visages en carton, ce qui frappe d'abord, c'est l'épure. La marotte n'est pas un portrait de femme, tout est lisse ici, dépouillé : le modelé des traits est à peine esquissé, ce sont des aplats de peinture noire qui font la chevelure, et quelques courbes sommaires pour les cils et sourcils. Rien de typé, et rien surtout d'un visage de paysanne, ou de bourgeoise ou d'aristocrate. De loin, on pense à une abstraction d'un visage, un peu comme la glaçure d'un masque de quelque geisha occidentale.
Pourtant, tout change dès que le regard insiste un peu, car soudain vous avez l'impression d'un être là tout près de vous, comme si derrière l'icône, dans l'imperceptible, les créateurs de ces figures avaient voulu tenter l'expression, le dialogue. Cela tient sans doute aux yeux et aux lèvres. Les premiers peuvent être de simples ronds noirs, mais aussi devenir quasi-réalistes, avec une finesse de traits, des effets pointillés et de transparence... Quant aux lèvres, qui ne sont le plus souvent que du rouge en aplat, leurs contours variés leur donnent une expression naïve certes, mais d'une grande force.
Et donc, quand on s'approche, chacun de ces visages peints sur le carton vous semble différent, chacun vous touche. Celle-ci, à la bouche mutine, dont le regard vous invite presque. Celle-là, à la joue rosée, aux yeux bleus, presque timide. Ou bien cette autre, au visage allongé, à la moue marquée de tristesse, et qui semble s'excuser d'être ainsi, figée, froide.
Il faut dire encore les enjolivures. Par exemple, l'attention portée au bas de la marotte : même s'il n'est qu'un support un peu longiligne, sans les rondeurs du cou ou de la poitrine, on y a figuré des décolletés généreux, ou bien quelques motifs à même la peau, ou bien encore un lien noué autour du cou.
Il faut dire aussi l'usure du temps, la patine qui affine la présence de ces figures, comme l'érosion sur la pierre des sculptures. Ici, ce ne sont que quelques éraflures, quelques brisures sur le net de la peau, ou parfois des pans de peinture enlevés. Mais du coup, ces marottes nous deviennent plus fraternelles, sujettes comme nous aux rides, aux angoisses qui nous creusent. Elles sont sans âge, dans la plénitude féminine, mais comme nous blessées, cernées par la douleur des jours dans leur apparence immuable.