Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Voussure du portail
Foussais
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

Depuis Kachgar, sur cette route un peu folle qu’on nomme la Karakoram Highway, l’expérience du parcours est d’abord celle des hautes montagnes, à plus de sept mille mètres d’altitude, qu’on observe au loin, blanchies de neige et de glace.

Le regard est agrandi par les montagnes plus basses, dans les dégradés des roches grises. Cela pourrait, en plus imposant, ressembler aux Alpes, mais comme en délavé, tant l’espace est ici imprégné des gris de la matière mise à nue.
La route est longue, passe par des encaissements, on monte comme un tournis sans fin, la route bientôt atteint les quatre mille mètres. Et le corps peu à peu s’est lavé, vidé de toute sa mémoire, tant l’attention est comblée par cette sensation d’espace qui vient en vous. Comme si le fait d’être plongé dans le dépouillement des montagnes faisait toucher à l’infini, au plus concret de soi, la vue toujours prolongée au-delà de ce que les yeux savent percevoir comme limites.
Et plus on monte, plus cela s’agrandit, plus on se perd. Un moment on s’arrête. Tout près de ce qui ressemble à un lac, mais si peu profond que l’eau danse dans l’œil avec les langues de sable gris, que tout se brouille et fait comme une respiration, jusqu’à cette zone de terre un peu verte là-bas où l’on distingue, quand on regarde fixement, des yaks et d’autres bêtes qui pâturent. Plus loin encore, une falaise grise et blanche, et plus loin toujours toute une chaîne de montagnes sombres, dont la neige coiffe les crêtes. Plus à gauche, des versants gris et blancs, dans une infinité de nuances que leurs reflets dans l’eau plus près de nous, semblent rendre mobiles. Tout près, un large espace de pierrailles, peut-être là pour nous ramener à la réalité de la terre.

Karakoram paysage

Car voir un tel paysage vous transforme de part en part, vous emmène dans des contrées du corps et de l’esprit où règne la multitude, des couleurs, des lumières, des espaces… Et vous ne savez plus vraiment où vous en êtes de ce dialogue avec la terre et l’espace qui soudain chavire. Qu’est-ce que le rapport à l’immensité, quand celle-ci vous impose une infinitude, dont vous pouvez jouir, mais que vous ne pouvez explorer ?
Nous restons là de longs instants, comme des enfants, sous l’emprise douce de ce qui n’épuise pas les yeux. Car cette immensité accentuée semble paradoxalement familière. Comme si la plus haute incarnation du paysage voulait vous apprivoiser, vous montrer vraiment ce qu’est la terre, au-delà de sa puissance.

En 2006

Écriture le 14/08/23

Cela fait dix-sept ans que nous avons passé quelques jours à Kachgar, cette ville aux confins du Xinjiang, autrefois nœud d’échanges de la Route de la Soie.

En fouillant dans la mémoire et les photos, j’ai l’impression d’un autre monde, tant aujourd’hui les bribes encore vivantes de la culture ouïghoure que nous avions éprouvées là-bas, doivent être réduites à néant. Les Routes de la Soie d’aujourd’hui sont d’un autre ordre que celles des échanges millénaires qui ont forgé ces cultures locales qu’on éradique maintenant, sans grand émoi.
Nous avions longtemps respiré la vieille ville. C’était l’Asie centrale et ses ambiances, les fruits sur les étals précaires, les maisons aux arcades décorées, les brochettes sur les trottoirs, les tissus tendus au-dessus des rues étroites pour l’ombre. Au détour, une fillette et ses deux frères sans doute, elle porte une robe en ikat aux couleurs vives, comme une signature de son appartenance. Nous avions un jeune guide “ national ”, chinois Han de Chengdu qui se terrait à l’hôtel, ne voulant pas se mêler aux Ouïghours. A., un jeune ouïghour anglophone, nous accompagnait comme guide “ local ”. Tout ou presque les opposait, l’un n’avait à la bouche que les Jeux Olympiques à venir et la “ market economy ”, l’autre était fier de ses coutumes et de son peuple, fier de partager.

Enfants dans la vieillle ville

Au marché du dimanche, les visages des hommes et des bêtes, en une symbiose heureuse : brebis, chevaux, vaches, ânes et le bruissement humain des petites échoppes où l’on mange, où les déchets de pastèques se mêlent aux billets – l’argent bien à sa place au sein de la diversité du monde. Voilà, on baigne dans tout cela ne serait-ce que quelques instants, et l’on respire à pleins poumons ce qu’est une culture, qui vous nourrit soudain, manière de s’habiller, de se héler, d’échanger, tout ce qui s’est tissé depuis des siècles entre ces gens, le fait d’être assemblés sans que peut-être ils le sachent, à travers leurs misères et leurs grandeurs, et les temps qui vont.

Scène au marché

 

Au marché, les pastèques

Je fais lire au jeune chinois, un encart dans le livre en anglais que nous avons, sur la répression des Ouïghours. Il ne dit rien. La Chine étouffe ses minorités comme autrefois les pays d’Occident. L’économie a besoin de pouvoirs forts, étendus, encore plus aujourd’hui. Les droits humains ne font que le décor des journaux, la vieille ville de Kachgar est maintenant rasée, mais on ne fait pas le deuil d’une ville, le monde avance, il n’y a plus rien à voir.

Céramiques, Mausolée d’Abakh Khodja

Nous allons au mausolée d’Abakh Khodja, vénéré comme un prophète au XVIIe siècle et qui a gouverné un temps cette région. “ Voyez, me dit le jeune Chinois, nous faisons attention au patrimoine ”. Lieu sacré pour les Ouïghours, plus belle architecture islamique de Chine. À l’entrée, les céramiques glaçurées un peu naïves, un peu de guingois, me touchent profondément, comme un signe assuré de la fragilité des cultures humaines.

En 2006

Écriture le 01/08/23