Cette sensation d’abord peut-être d’une présence qui nimbe les jours, celle des visages bien sûr, mais aussi des lieux, des paysages d’humanité. Et que cette présence se nourrit d’une mémoire grande, celle des lointains de l’espace et du temps, celle des traces précaires, les œuvres, les images…
C'est après le repas parfois tu viens, tu t'assois
tes yeux rient sur la vie qui coule
Comment savoir ce qui fait la mémoire des pierres ?
La salle est pleine, mais d’ampleur mesurée, des gens de tous âges, que je connais pour certains. Les trois comédiens sont tout proches du premier rang, à même le sol.
Arriver ici, depuis Kashgar, est une expérience de l’immense.
Sans doute ne savait-on jamais vraiment, dans le creuset des jours qui font cette musique à peine des corps et des paroles, sans doute ne savait-on jamais la fluidité vraie des regards.
C’est un endroit décomposé, détruit. Il reste des rues que la caméra parcourt, bordées d’immeubles, de maisons éventrées.
Le soir parfois, nous allions marcher, à deux pas le chemin derrière la ferme ouvrait sur la terre.
Son visage est penché vers les mots
vers ce qu'elle cherche en eux
C'est d'abord un couloir dans l'ombre, large et long, où le regard se perd dans les hauteurs sombres des charpentes. Vous marchez.
Jours qui craquent. Monde en éclats. Le semblant rationnel de l’aventure humaine, à terre, piétiné. Et la peur souveraine revenue, celle des temps d’horreur que racontait nos pères, jadis.
Depuis Tachkent, la route rattrape une large vallée aride, qu’on suit longtemps avant d’obliquer vers le Sud, de gravir les montagnes.
Le village n’était pas un village, seulement quelques maisons et bâtisses, au bord du chemin qui s’arrêtait là et si l’on continuait c’était la lande, ou des parcelles d’herbe, ou les débris du vent.
C'est presque tous les jours, elle vient dans son jardin,
elle vient comprendre la terre un peu mieux,
la travailler saison après saison, sans relâche, pour faire le berceau de la vie qui pousse.
C’est le soir, dans la ville, c’est un lieu où l’on a mis au mur des images, des visages de femmes et d’hommes.
Qu’est-ce qui, un jour, fait rêver de la Route de la Soie ? Plus de traces dans la mémoire, mais le sentiment que ces itinéraires, depuis plus deux millénaires de caravanes, de commerce lent mais dense, ont forgé, confronté des visions du monde.
Quand on arrivait, au bout du chemin qui menait au village, j’avais souvent l’impression d’un visage, comme si la maison pouvait sourire, ou tout au moins que la lumière sur elle, sur la solidité des pierres, laissait place à quelque connivence, quelque souplesse.
Me revoici dans cette chambre étroite
où j’ai tracé sur toi les premiers signes,
après vingt ans, quelle part enrichie de l’espoir,
quelle avancée plus loin que nous,
quelle connivence tangible des corps ?
On ne sait pas si c’est, dans le temps qui va, une illusion ou l’évolution tangible du monde. Si c’est l’usure des années qui corrode le regard, ou ce qui se défait, qui vous atteint comme une certitude.
Route vers le Sud, depuis Samarcande, assez longue pour que les montagnes arides de l’été s’instaurent en nous, deviennent la seule présence versant sur versant, la même image interminable et sans cesse changeante.