L'église ici donne sur la place, et la place est au cœur des rues, en contrebas, dans ce qui est un noyau urbain depuis longtemps, un peu au nord de la rivière Charente.
Remanier
Et le sentiment aussi des remaniements, qu'un regard dans l'histoire accentue : on a démonté cette façade pierre à pierre au XIXe siècle, avant de la reconstituer au mieux. Mais ces brassages de pierres se devinent, et parfois des ajouts malencontreux, comme ce tympan au portail, pure invention de la même période.
Comme en d'autres lieux, il faut s'habituer, admettre la part des errements des hommes, ne pas chercher l'exactitude absolue. Alors la profusion des arcatures, des voussures, des visages qui semblent au passage vous héler, tout ce bruissement des pierres vous couvre, dresse entre l'ailleurs et vous comme un voile qui vous isole.
L'évolution des images
Les images ici sont débridées, comme empreintes d'une nouvelle liberté. On les sculpte vers le milieu du XIIe siècle ou peu après, une génération après le chef-d'œuvre d'Aulnay dont elles s'inspirent. Au portail, ce sont les mêmes thèmes, des vierges, du Zodiaque, des anges. Mais l'imagier cherche ici, déjà, à représenter le monde des hommes, leurs corps, leurs gestes, leurs visages. C'est un autre univers visuel qu'à Aulnay, plus fini, plus soucieux de la séduction, du paraître que de la transcendance. Les images émergent à Aulnay, ici elles s'affirment. Certaines de leur puissance en devenir.
On regarde les corps des vierges, leurs visages. Formes pleines, galbes frémissants, visages lisses et finement modelés : ce sont des portraits avant l'heure que l'imagier met au jour dans la pierre. Ce qui fera quelque temps plus tard la statuaire gothique, et plus tard, le miroir de nous-mêmes.
Et l'on parcourt tout le mur, les hauts reliefs et leurs grandes figures, les vieillards de l'Apocalypse sur une arcade en hauteur, la diversité de leurs visages. Ou les vertus contre les vices, et cette précision dans les traits, les volumes. On se dit qu'ici est un moment charnière, quand le regard des hommes sur eux-mêmes change définitivement, quitte cet ancien dialogue à l'invisible, aborde un autre rivage.
Une citation
Maître ou disciple, l'artiste met en valeur, davantage qu'à Aulnay, le pas croisé et accentue un déhanchement que l'on y pressentait chez quelques femmes. Ses silhouettes sont plus courtes, moins solennelles, plus souples peut-être.
Marie-Thérèse Camus, Élisabeth Carpentier, Jean-François Amelot, Sculpture romane du Poitou, le temps des chefs-d'oeuvre, Picard (2009)