Les femmes iban n'utilisent jamais d'esquisses ni de dessins pour représenter leurs motifs. Quand elles créent un nouveau buah (buah signifie le fruit du pua, c'est-à-dire la figure centrale), ce qui n'est pas si fréquent, les femmes disent que ce buah leur vient en rêve, transmis par une héroïne mythique du tissage. Il faut l'aide des dieux pour donner naissance à ces figures extrêmement sophistiquées.
Ces figures, dont l'interprétation n'est pas évidente, ont fait l'objet de plusieurs études depuis 1936, et tous les chercheurs ne sont pas d'accord. Elles ne sont en fait ni des images qu'on représenterait, ni du pur décor. Bien souvent, seule la tisserande qui a réalisé un pua sait interpréter correctement son œuvre. Une figure incarne sous forme visuelle une histoire qui commence par le rêve de la tisserande, et qu'elle enrichit peu à peu, au long du lent processus de l'ikat. Le nom de la figure n'a parfois qu'un lointain rapport avec la réalité visuelle.
Le pua kumbu présenté sur cette page, collecté à Kuching au Sarawak en 2016, daterait des années 1950. Il mesure 150 cm x 95 cm, avec des franges de 7 cm. C'est un ikat chaîne, en coton, teint avec des couleurs végétales. Le rouge provient de l'engkudu, nom local de l'arbuste morinda citrifolia, et le marron presque noir d'une surteinture avec de l'indigo. Il est composé de 2 panneaux identiques, cousus ensemble sur la longueur et ses figures sont relativement simples. Chaque côté est délimité par des bandes verticales unies, ara, bordeaux, blanches avec de fines rayures noires, en teintures végétales. Ces bordures empêchent la puissance sacrée du tissu de s'échapper de la partie centrale.
La partie centrale
En début et fin du tissu, une ligne bleue et blanche, le semalau, groupe de fils blancs et bleus entrelacés à la chaîne, délimite le tissu. Le pemucok, bande (10 cm) de motifs placée au début du tissu figure des pousses de bambou (pucok tubu) de tailles différentes accolées à une ligne de pointillés.
Au-dessus, placé au départ du tissage, le lintang, appelé souvent penuri (barrière d’épines) est une bande composée de deux lignes ikatées noires et blanches encadrant une ligne de fils unis blancs. En plus de permettre une bonne disposition des fils de chaîne, il joue le rôle de barrière entre le motif principal et les motifs du pemucok. Le nombre peu élevé de kayu (les kayu sont les groupes de fils portant le même profil, et qui servent comme unité de travail pour les réserves), seulement 30, explique la simplicité de ce pua. En principe, les tisserandes débutantes travaillaient sur la base de 30 kayu.
Au-dessus du lintang, une série de 12 gelong (grandes spirales) marque le début du tissage, le pun. Les grands motifs géométriques renferment le buah bengkong (motif du crâne). Les lignes sont droites sans les spirales fréquentes sur les autres pua. Ce motif principal, est repris en symétrie 6 fois sur toute la largeur et une fois sur toute la longueur du tissu. La partie supérieure reprend en symétrie la même composition des motifs, avec le lintang et le pemucok.
Fonction
Ce pua était utilisé lors des gawai (grandes fêtes rituelles) pour envelopper les poteaux, endroits de culte lors de ces cérémonies. Le poteau en bambou part du sol de la galerie et monte jusqu’au grenier de la maison longue, c’est le tresang (réceptacle) des offrandes. Le passage du poteau à travers le grenier et le toit symbolise les offrandes qui vont atteindre la demeure céleste des dieux. Les offrandes sont placées dans un récipient que le pua, fixé au sommet du poteau avec du rotin, vient entourer. Les dimensions de ce pua sont particulières, assez larges mais peu hautes, compte tenu justement de son usage.
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