Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Voussure du portail
Foussais
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

J’ai commencé de brasser la terre du jardin, il y a deux jours, dans l’humidité encore grande de cette terre lourde, avec qui je dialogue depuis cinquante ans.

À chaque année qui vient, il faut griffer, creuser et bêcher un peu – juste un peu – cette terre compacte et les restes de l’engrais vert semé en septembre. Un peu plus loin, un envol de vanneaux, dans un nuage léger, signait le bonheur de vivre.

Le jardin nous arrime à la terre, aux aléas du temps qu’il fait, au climat qu’on voit changer au rythme qui s’accentue. Le jardin nous murmure qu’on ne maîtrise pas la terre, ni le temps, ni cette évolution folle que les humains ont mise en branle et qu’ils ne peuvent plus arrêter.

À une centaine de mètres du jardin, sur l’autre versenne, on continue de déverser des poisons dans le sol, régulièrement. Cela fait un brouillard léger dans la lumière. On espère à chaque fois que le vent porte dans l’autre sens. On ne mesure pas l’étendue des dommages, pour le vivant du sol, pour nous-mêmes, pour le monde. On ne sait rien, sauf ce rendement comme la valeur suprême. Qui pourtant ne suffit plus à la précarité paysanne, qui la dépossède, l’oblige à l’exil d’elle-même.

Il faudrait que la terre partout soit comme un jardin, qu’on y porte attention pour les générations qui viennent. Rien de tout cela. Seulement le modèle triomphant d’une économie globalisée, chaotique, incohérente, qui lamine les petites gens, les paysans comme celles et ceux des jardins. Toutes celles et ceux qui regardent le désastre venir dans l’impuissance de leurs mains.

Il faudrait de nouvelles oriflammes, une nouvelle foi, des confiances et des chemins renouvelés… nous n’avons que l’immensité médiatique des résonances vides. Nous nous accrochons, tous, aux jardins, aux plantes qui poussent encore, aux fleurs qui font la lumière nouvelle, celle qui fait du bien aux corps, un moment. Il faudrait une mobilisation, non pour réarmer quoi que ce soit – les armes, c’est toujours la mort, mais pour assembler, tisser, expliquer vraiment. Il faudrait du temps, de ce temps qui coûte trop cher désormais. Les jardins sont condamnés à survivre sans bruit, dans le reflux d’espérance, dans l’attente des malheurs à venir.

Écriture le 02/02/24

C’est comme un nid, c’est une maison qu’on a commencée petite, une sorte de cocon à même la terre un peu sauvage, parmi les arbres de ce pays du sud vers le Lubéron, avec de grandes trouées ouvertes au regard.

Et l’on sait que ce regard se poursuit au-delà de ce qu’on peut voir, au-delà de soi-même.

C’est comme un nid qu’on a commencé il y a longtemps déjà – deux générations de vie pour assembler ses brindilles, les ajuster, prévoir des parcours, des endroits pour le repos, pour le partage. On l’a agrandie, peu à peu, à mesure des enfants qui poussaient. C’est une maison pour le temps paisible, pour se dire que, parmi les pierres plates et grises qu’on remet en terrasses, le fil du temps se déroule dans la densité des vies et que les trouées ouvertes du paysage sont immuables et signent comme d’une bénédiction cette terre.

Sur un mur de la maison, on a greffé une arche, un arc en anse de panier qui donne sur un espace ouvert au repos. Au bord de la maison, le chemin d’accès, qui se transforme là en étroit sentier. Tout autour, des arbres de la Méditerranée, des collines douces, et ce terrain qu’il faut nettoyer pour protéger du feu toujours possible. Comment écrire les ingrédients du bonheur à même la terre, ces sortes de liens entre l’existence humaine et son entour, ceux qu’on touche du regard, ceux qu’on devine ?

Celle qui vit dans la maison nous emmène sur le sentier, vers l’ancien village maintenant abandonné – les gens sont descendus vers la vallée plus lucrative un peu plus bas. Il y a encore d’anciennes bories au toit de pierres sèches, précautionneusement décalées l’une l’autre pour faire peu à peu voûte, il y a de vieilles cuves pour retenir l’eau incertaine, il y a les pierres des murs, leurs rangées, leurs alignements qui disent le savoir-faire d’antan.

Elle et lui nous conduisent à quelques kilomètres, dans un village à flanc, là où le divin marquis logeait dans son château, tout en haut. Tout le village a été restauré, par le grand couturier qui a naguère fait du château sa propriété, par un groupe américain d’art and design qui possède une bonne part des maisons et propose des sessions de création, des expositions. Et cela livre à ceux qui passent une atmosphère étrange, d’une authenticité ancienne de l’espace, irriguée, nervurée, par l’univers global de la mode qui draine jusqu’ici ses intérêts commerciaux. En montant dans les ruelles, des balcons, d’où l’on voit d’autres villages perchés, au loin, parmi les traînées des nuages bas. Au château, on ne peut pas entrer, une conférence de presse s’y tient, sur invitation, les grands bras grands ouverts d’une œuvre d’art à l’extérieur se referment sur nous. On redescend par un sentier, la terre conviviale n’est jamais loin.

On revient dans la solitude de la maison, tout près, mais si loin dans l’apparence des vies, à l’abri des habitats denses qui jalonnent la terre et y creusent leurs affaires. On y partage le délicieux repas de l’amitié, les moments simples, les fraises du printemps ont des saveurs éternelles.

Écriture le 06/05/24