Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Voussure du portail
Foussais
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

C’est comme un nid, c’est une maison qu’on a commencée petite, une sorte de cocon à même la terre un peu sauvage, parmi les arbres de ce pays du sud vers le Lubéron, avec de grandes trouées ouvertes au regard.

Et l’on sait que ce regard se poursuit au-delà de ce qu’on peut voir, au-delà de soi-même.

C’est comme un nid qu’on a commencé il y a longtemps déjà – deux générations de vie pour assembler ses brindilles, les ajuster, prévoir des parcours, des endroits pour le repos, pour le partage. On l’a agrandie, peu à peu, à mesure des enfants qui poussaient. C’est une maison pour le temps paisible, pour se dire que, parmi les pierres plates et grises qu’on remet en terrasses, le fil du temps se déroule dans la densité des vies et que les trouées ouvertes du paysage sont immuables et signent comme d’une bénédiction cette terre.

Sur un mur de la maison, on a greffé une arche, un arc en anse de panier qui donne sur un espace ouvert au repos. Au bord de la maison, le chemin d’accès, qui se transforme là en étroit sentier. Tout autour, des arbres de la Méditerranée, des collines douces, et ce terrain qu’il faut nettoyer pour protéger du feu toujours possible. Comment écrire les ingrédients du bonheur à même la terre, ces sortes de liens entre l’existence humaine et son entour, ceux qu’on touche du regard, ceux qu’on devine ?

Celle qui vit dans la maison nous emmène sur le sentier, vers l’ancien village maintenant abandonné – les gens sont descendus vers la vallée plus lucrative un peu plus bas. Il y a encore d’anciennes bories au toit de pierres sèches, précautionneusement décalées l’une l’autre pour faire peu à peu voûte, il y a de vieilles cuves pour retenir l’eau incertaine, il y a les pierres des murs, leurs rangées, leurs alignements qui disent le savoir-faire d’antan.

Elle et lui nous conduisent à quelques kilomètres, dans un village à flanc, là où le divin marquis logeait dans son château, tout en haut. Tout le village a été restauré, par le grand couturier qui a naguère fait du château sa propriété, par un groupe américain d’art and design qui possède une bonne part des maisons et propose des sessions de création, des expositions. Et cela livre à ceux qui passent une atmosphère étrange, d’une authenticité ancienne de l’espace, irriguée, nervurée, par l’univers global de la mode qui draine jusqu’ici ses intérêts commerciaux. En montant dans les ruelles, des balcons, d’où l’on voit d’autres villages perchés, au loin, parmi les traînées des nuages bas. Au château, on ne peut pas entrer, une conférence de presse s’y tient, sur invitation, les grands bras grands ouverts d’une œuvre d’art à l’extérieur se referment sur nous. On redescend par un sentier, la terre conviviale n’est jamais loin.

On revient dans la solitude de la maison, tout près, mais si loin dans l’apparence des vies, à l’abri des habitats denses qui jalonnent la terre et y creusent leurs affaires. On y partage le délicieux repas de l’amitié, les moments simples, les fraises du printemps ont des saveurs éternelles.

Écriture le 06/05/24

Nous sommes en août 1970, à visiter cette maison qui va devenir nôtre.

À l’angle de la façade et du pignon qui donne sur le chemin, une « anguille » comme on dit ici, court sur toute la hauteur, petite béance de quelques centimètres, le mur de façade se décolle, et je m’aperçois qu’il penche vers l’avant. “ Les murs travaillent ici, dit Élie le propriétaire qui nous accueille, c’est l’argile ”. Et Maître P., le notaire, d’ajouter : “ Des Parisiens sont venus visiter il y a quinze jours, mais ça leur a fait peur ”. Honnête, l’homme de lois… On se fait expliquer : pas de fondations aux murs, le sous-sol argileux, la terre l’été qui se comprime, et se dilate à la saison pluvieuse. On hésite. “ Oh ! Vous savez, on peut bien vivre avec ”, ajoute Élie. Et le cadre enchanteur de cette maison à même les arbres et l’espace pèse plus dans la balance. Une semaine plus tard, on dort ici. On se dit que l’anguille et l’argile seront sages.

Deux mois plus tard, le maçon qui refait la couverture encastre une grosse ferraille à angle droit dans le mur de façade et celui du pignon, sur plusieurs mètres. Il rebouche l’anguille. Ça tient depuis cinquante ans. Puis c’est le forgeron du bourg, qui prépare des croix en fer épais, avec un trou au milieu. Une grosse tige y passe, aux bouts filetés, qui traverse la maison. “  On appelle ça des tirants, ça va contenir les murs. ”

Près de quinze ans plus tard, quand on construit en façade la véranda, le surplomb du mur s’est un peu accentué. On construit trois contreforts en pierres, qu’on encastre, avec de bonnes fondations. Du temps passe, de petites zébrures apparaissent parfois sur les enduits des murs, un millimètre, puis deux, qu’on rebouche de temps à autre, les murs continuent de travailler, ils se déplacent sans bruit, dialoguant avec le sol qui les soutient, avec ses faiblesses.

Dans la partie est de la maison, l’ancienne grange avait été construite en pierres, en 1939, en murs de trente-cinq centimètres d’épaisseur seulement, au lieu de cinquante habituellement. Les maçons là encore refont tout un angle, fondations, murs en parpaings, et nous construisons un contre-mur accolé en pierres. Puis ce sera il y a quelques années le mur nord, sur plus de douze mètres de long.

Mais le réchauffement climatique impose au sol des alternances de compression et de dilatation de plus en plus marquées, et les fissures se multiplient, pesant parfois sur les cadres des portes qu’il faut changer. Cette maison a traversé plus de deux siècles sans trop d’encombres, et nous nous inquiétons désormais de sa survie. Combien de temps les murs vont-ils encore travailler à leur propre destruction ?

Écriture le 07/08/23