Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Voussure du portail
Foussais
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

C’est dans son atelier, sur les hauteurs de la maison, là où la lumière encore nimbée des montagnes entre à flot.

C’est dans une sorte de désordre une profusion d’outils, de pains de terre préparés, enveloppés, une profusion de petits personnages en train de sécher, nés de cette terre et de ses mains à lui, qui nous guide, qui nous fait traverser son monde où son imaginaire ne cesse de dialoguer avec sa mémoire d’enfance, avec la terre qu’il modèle, avec ses pensées intimes.

Il va faire cuire ses petits personnages, les rendre permanents, les pousser au-delà de la mort peut-être. Et cela dressera dans l’espace des processions humaines où les blessures sur les visages se verront à peine, où la fatigue de mener la vie jusqu’à son terme affleurera parfois. Il y en a des centaines, de ces personnages, souvent groupés, figures des efforts des hommes depuis toujours, la terre écrit le chant des anciens récits, des anciens psaumes. Il explique – Voici Abraham, et Sara, et Isaac…, il explique, et la terre devient comme une musique avec les figures tutélaires du monde. Il passe d’un groupe à l’autre, il raconte, il ne dit pas les blessures à vif qu’on voit sur les visages, ni les luttes des frêles silhouettes contre l’inéluctable. Ou peut-être est-ce simplement contre le vent qu’elles marchent à grand-peine, on ne sait jamais quand on voit une image ce qu’elle traduit de précaire, de bienheureux.

Il nous montre bientôt ses carnets de dessin, semis de traits, de courbes retracées, esquisses, et parfois l’accomplissement de l’image. Il détaille – là, la tour du village, là la Roche-Colombe… mais tout est mêlé sur la feuille, sans que l’univers figuré soit hésitant. On parcourt cet espace recréé avec enchantement, sans toujours reconnaître ce qui le constitue, mais on sait bien que c’est la musique des courbes et des traits qui compte, leur naissance, ce qui peuple la surface, comme une enfance qui remplirait sa mémoire sans fin, parce que l’humain est sans limite, qu’il sait transmettre l’impondérable des angoisses, la magnificence des certitudes.

Viennent les dessins eux-mêmes, avec leurs couleurs incertaines. La multiplication des paysages et leurs incertitudes, les formes vivantes qui les emplissent et qu’on ne découvre qu’après un long moment du regard. Les arbres et leurs feuilles dans la lumière et comme en arrière d’eux les mille matières ou signes qui font le monde, bien plus loin, comme une essentielle fondation qu’il faut chercher dans le visuel qui s’offre. Il dit encore – Là, c’est Venise. Il montre la folle miniature d’une église perdue dans l’immensité grouillante de la feuille dessinée. On a l’impression qu’il tisse l’infinité du vivant, que les traces et les couleurs lèvent à peine sous le regard l’insondable, qu’il nous invite dans l’incertitude d’un chemin qui ne finira pas, où les yeux partagés deviendraient plus fraternels.

C’est dans l’atelier, là où tout se joue dans l’aventure précaire de la création, là où tout se risque, là où la mémoire humaine inscrit des lucioles qui la dépassent. Là où peut-être face aux vents des montagnes peut s’écrire en pointillés une intime espérance.

Dans l’atelier de Frank Girard

Écriture le 09/05/24

On touche des mots parfois,
dans l’incertitude tremblée de la main
qui les couche sur la page,

le plus grand scintillement, le plus grand dénuement,
à la fois l’essentiel de ce qu’on rêve et son impuissance.

L’écriture s’accroche aux bribes de ce qui reste,
à l’espérance de ce qui vient,
elle tremble de toutes les douleurs
de ce qui n’est pas su,
ni vécu,
mais entre les mots l’épaisseur d’un pays
qu’on aurait souhaité parcourir
juste peut-être le temps d’un rêve.

On glane des images, on croit naïvement
que ce qu’on traverse en elles
prend pouvoir sur le monde,
ou du moins l’empan de la terre qu’on partage,
tant les images parfois vous transfigurent
tant elles ouvrent, comme les mots
des trouées d’air et de bonheur mêlés,
parfois,
dans l’éclairage éperdu du temps.

Écriture 19/01/24

Quand on revoit l’enfance, c’est à pleines brassées la certitude du monde.

Ce qui revient tient de l’inamovible, brefs instants dans la mémoire nimbés de l’immortalité. Quand on revoit l’enfance, ce sont les torrents d’images, des eaux claires en transparence du monde qu’on peut toucher, flux de bonheurs qui ne s’ébruitent pas, qui restent paisibles, marqueurs à tout jamais d’on ne sait quelle réalité.

C’est comme un paysage de mots mêlés de couleurs, un territoire qu’on voudrait isoler, reprendre, pouvoir y puiser quand bon nous semble. Mélanges de profusion et d’extrême rareté. La mémoire tisse des détours, des complexités qui nous échappent.

S’en aller dans l’âge, c’est éprouver plus encore la solitude. On n’ose plus déranger les proches, les questionner sur l’incompréhensible de la vie. L’enfance se reflète plus souvent, mais c’est une image qui tremble, qui mêle l’extrême certitude de mourir et l’extrême certitude du bonheur des années, ce long temps du parcours de la terre, les gestes, les regards, sans bien savoir. Qu’agrège-t-on au long d’une vie, que laisse-t-on comme nourriture à ceux qui passent, à ceux qui viennent ?

On revoit les vieilles rues, les chemins qui desservent les jardins, le port penché des arbres, toute la musique des mots lovés sur eux-mêmes et qui parfois jaillissent à notre insu. On revoit les visages, la marchande de chaussures qui parle, l’homme qui passe avec sa charrette aux grandes roues… Cela qui dure encore, cela qui n’existe plus, qui montre qu’on a parcouru le temps. Sans jamais comprendre au fond de soi ce qu’est le temps. On revoit les sourires, qui éclairent, les douleurs qui font clôtures. On se dit que rien n’est tant précieux que les uns, rien tant dérisoire que les autres. On ne sait pas ce qui nous arrête, nous retient, nous comble. Vivre, c’est puiser dans quelle réalité, creuser quelle chimère, faire naître, mais à peine, quels souvenirs, et quels bienfaits ?… Tout ce qu’on devine dans le parcours des nuages au cœur du ciel du printemps. Tout ce qu’on voudrait imaginer, si longuement encore, rassembler avec les visages…

Écriture le 30/12/23