Un métier va suivre le même développement et le même déclin que celui des coiffes, c'est celui de lingère. D'une activité de simple entretien de linge au début du siècle, il va devenir une activité de création nécessitant un long apprentissage et des doigts d'or.
Au début du XIXe siècle, les lingères entretiennent le linge, surtout le blanc. Elles lavent, repassent, amidonnent jupons, bonnets, chemises, les mettent en forme. Mais ce métier va exploser au cours du siècle avec le développement des coiffes. Les lingères qui jusque là travaillaient dans les maisons nobles et bourgeoises vont se voir solliciter par les paysannes qui ont désormais accès aux dentelles et à la soie, matériaux qu'elles ne savent pas entretenir.
En effet on ne s'improvise pas lingère. On accède à ce statut après un apprentissage de trois ans. Une condition pour devenir apprentie, c'est d'avoir les ongles longs pour réaliser le fameux plissé à l'ongle. Une vieille grand-mère de 90 ans se souvenait encore il y a dix ans de son émerveillement, quand elle était petite, devant la longueur des ongles de la lingère. Ceux de l'index, du majeur et de l'annulaire mesuraient au moins 1 centimètre et elle les voyait encore saisir prestement deux plis qu'ils bloquaient et tiraient. Puis elle les repassait par petite surface, environ 4 cm2 après 4 cm2. Il fallait aussi avoir le souci de la perfection sinon gare aux coups d'aiguille à tricoter sur les doigts.
Le mode de travail
Une fois son apprentissage terminé, la lingère pouvait intégrer un atelier en ville ou se mettre à son compte à la campagne. En ville, d'après le témoignage de Madame Régnier de Rochefort, un atelier comprenait 6 ou 7 ouvrières. Ces dernières remontaient les bonnets et la patronne se chargeait des coiffes, moins nombreuses dans un contexte citadin où les bonnets étaient plus courants.
À la campagne, il n'était pas rare de trouver 4 ou 5 lingères par commune. On en a ainsi dénombré au moins 3 au Gicq.
En Saintonge, les lingères travaillent à la journée dans les familles où elles sont nourries en plus de leur salaire. Elles s'occupent presque exclusivement des coiffes. Cependant, on fait appel à elles lors d'événements exceptionnels comme un mariage ou un baptême où elles se chargent de repasser les toilettes, jupons, guimpes, robes de baptême. |
Dans les Deux-Sèvres également, elles se déplacent dans les familles. Par contre, dans la région de St-Hilaire La Palud et du Marais, les lingères restent chez elles et certaines vieilles femmes d'aujourd'hui se souviennent encore d'avoir été chargées de porter et de rapporter avec beaucoup de précaution la coiffe de leur grand-mère, bien à l'abri dans sa boîte, à la lingère de la commune.
Les méthodes de travail
Les coiffes se repassent généralement deux fois dans l'année, d'abord à la belle saison, puis à l'entrée de l'hiver, de préférence par temps sec pour un séchage rapide des matériaux.
La lingère commence par démonter la coiffe, en lave tous les éléments à l'exception de la carcasse, les réamidonne en prenant bien soin de ne pas dévoiler ses secrets concernant les dosages d'amidon et de borax, de gomme arabique et autres poudres de perlin-pinpin, les repasse et procède selon le modèle au paillage, au tuyautage, au plissé à l'ongle. Enfin, elle remonte les différents éléments en les épinglant.
Madame Régnier, l'ancienne lingère de Rochefort déjà citée, nous a laissé sa recette et sa technique de repassage. Sa recette consistait à délayer une cuillerée à soupe d'amidon, et une cuillerée à café de borax pour obtenir une pâte claire. On utilisait de l'amidon cuit pour les dentelles, de l'amidon cru pour la mousseline, et de l'amidon cuit épais pour coller les rangs tuyautés entre eux. Il ne fallait amidonner que les rangs, trois à la fois. Elle les trempait dans la solution puis les pressait. Elle posait ensuite un linge et l'étirait pour éviter qu'il ne colle. Il fallait le conserver mouillé jusqu'à ce que les 3 rangs soient repassés. Ensuite, elle passait le fer à température sur de la cire d'abeille puis sur un chiffon et elle formait les tuyaux du bonnet les uns après les autres. Puis elle repassait les attaches et le fond.
Il fallait 2 heures pour repasser un bonnet. Alors que Madame Reigner en repassait 3 par jour, sa patronne pouvait en repasser jusqu'à 9.
Une lingère habile et expérimentée met une demi-journée pour traiter une coiffe. Mais le plus souvent elle travaille par séries, traitant plusieurs coiffes à la fois comme le laissent penser les initiales au fil rouge, ou les noms écrits au crayon, que l'on retrouve sur les différents éléments des coiffes qui servaient de repères.
Dans les Deux-Sèvres, la lingère ne remonte pas toujours la coiffe. En effet, les femmes possèdent parfois jusqu'à 40 garnitures (dentelles et fonds brodés. Aussi le rôle de la lingère se limite-t-il à laver, amidonner, repasser, plisser, tuyauter les différents éléments pour les ranger ensuite dans un carton. La femme remontera elle-même les éléments au fur et à mesure de ses besoins, ce qui peut expliquer le montage assez grossier ou malhabile de certaines Pèleboises. Cette méthode de travail semble s'être pratiquée également en Saintonge avant les grandes coiffes comme tend à l'attester une boîte à coiffe en carton récupérée à Beauvais sur Matha auprès de Jacqueline Rousseau, qui contenait de nombreux éléments de coiffe repassés, prêts à être utilisés. |
Un travail de styliste
Les lingères ont été très nombreuses au cours du siècle, mais la plupart d'entre elles sont restées dans l'anonymat malgré leur travail remarquable et leurs créations dignes des grands couturiers actuels. Si l'on en connaît certaines, c'est à travers le type de coiffe qu'elles ont créé qui porte leur nom.
Ainsi, la Malvina emprunte son nom à celui de sa créatrice, Malvina Girard. Toutes ces femmes ont été créatrices de mode, certaines ayant une véritable renommée, à l'instar de Sylvie Boisnègre de St Macoux dans la région de Civray qui avait une telle notoriété qu'elle acceptait seulement de réaliser les Cayons de mariage.
Du modèle de départ assez grossier et rustique, ces lingères vont créer des objets élégants, d'une finesse et d'une délicatesse incroyables. Ainsi la carcasse matelassée, épaisse et lourde, va-t-elle donner naissance à la Malvina, aérienne et dynamique. De même, le matelassage très lourd de l'énorme Cayon de Civray est remplacé par un carton que les doigts d'or de Sylvie Boisnègre vont recouvrir d'un paillage extraordinaire.
Comme toute création, aucune coiffe n'est identique. En effet la lingère pour toute nouvelle réalisation, s'adapte à sa cliente. Celle-ci vient lui passer commande avec tous les éléments qui vont composer sa coiffe : le fond, la passe, les dentelles, rubans, etc... La plupart du temps, elle les a achetés dans une mercerie (on a ainsi retrouvé dans un vieux fonds de mercerie, fixés sur un papier bleu un fond de coiffe et une passe), ou à un colporteur, ou sur une foire.
Dans le Chatelleraudais, les riches marchands de dentelles faisaient confectionner ces dernières par des femmes payées à la tâche. Ils leur fournissaient tulles et modèles de broderies, à elles de se procurer le fil. La copie de ces modèles était strictement interdite, on a retrouvé des dépôts de brevets aux archives de Tours. Ou bien, comme c'était le cas vers la Crèche, c'est la jeune fille qui en brodant son trousseau a aussi brodé les éléments de sa coiffe qu'elle fournit à la lingère.
Celle-ci s'adapte à ce qui lui est apporté, ainsi la coiffe aura-t-elle plus ou moins de ruchés, plus ou moins de rangées de dentelles, des rubans plus ou moins longs ou plus ou moins larges.
Mais elle ne fait que les coiffes de sa région. Exceptionnellement, elle acceptera de travailler un autre modèle pour une femme qui vient d'une autre région et qui tient à le conserver. Mais alors on reconnaît ces modèles car ils ne sont pas remontés exactement comme le modèle original que ne connaît pas la lingère.
Dans notre région, les dernières lingères vont disparaître dans les années 1970 - 1980, la plupart d'entre elles emportant leurs secrets.