Voyager, c'est aussi, parmi toutes les découvertes, se nourrir. Que seraient les rencontres, les objets, les lieux, les paysages... sans les saveurs, ces manières d'accommoder le monde ?
Mémoire des nourritures
On ne vient jamais - ou si rarement - dans un pays pour manger. Mais si frugal que soit le voyage, dans le désir d'épuiser la découverte des terres et des hommes, si rapides les pauses déjeuner au bord des routes, il reste des mois durant, traces en soi des saveurs nouvelles qu'on aura éprouvées.
C'est que boire ou manger, au-delà de la nécessité, touche à l'extrême la profondeur des relations avec l'autre : dans la palette des achats, des fruits au bord des routes à l'eau de Djermouk embouteillée en usine, se révèle ce que le pays, les gens ont construit de ce qui fait le plus intime du quotidien. Comment ils ont mis en scène, à leur insu parfois, ces produits qu'ils proposent. Acheter, c'est toucher au plus près le degré de convivialité, le rapport au terroir, cette épaisseur des vies accumulées depuis des siècles.
Puis c'est de partage qu'il s'agit, à quelques-uns au bord des routes ce qu'on mange entre soi dira la lumière du moment, ou sa lassitude. Et, le soir, dans la tiédeur des auberges, on cherche à savoir encore, en même temps que l'on goûte, les apprêts, les tours de main, la mémoire dont le corps s'augmente.