Récit du pain
Tôt le matin nous sommes au marché, pour mieux sentir et voir, dans la fraîcheur des stands qu'on apprête, légumes et fruits, miel, céréales... dans la grande halle encore presque déserte. Les unes empilent avec précision des pyramides de fruits frais, de légumes, les autres rangent sous la lumière les petits paniers de fruits confits. Vous avez mis toutes trois vos tabliers blancs, êtes-vous boulangères ou femmes des villages qui venez à la ville ?
Je vous préfère ainsi, ayant chauffé longtemps l'ancien tonir, fait voltiger la pâte mince dans l'air, l'ayant saisie contre l'argile qui brûle. Le lavash est ce pain vaste et mince, terre et dentelle, que l'on garde longtemps. Vous le préparez, vous l'empilez, vous l'aspergez d'un peu d'eau pour la souplesse. On s'approche, vous vous arrêtez, vous êtes bienveillantes, c'est pour le voyage, pour la route longue de la vie, d'un pays à l'autre. Vous enroulez soigneusement ces grandes formes douces qui sont le pain d'ici. On n'oubliera pas vos visages tranquilles, vos mains qui rangent. Je vous préfère venant de loin, là où le blé pousse, maigre peut-être, dans les montagnes et dans vos gestes quotidiens.