À l'aéroport, trois avions paraît-il, sont arrivés en même temps, et c'est l'engorgement pour le contrôle des visas, la foule en entonnoir et le militaire au-devant, là-bas, qui filtre un à un les passages.
Plus d'une heure ainsi à tenter de rester ensemble dans le piétinement, dans la chaleur de cette fin de nuit. Certains se retrouvent dans le brouhaha, embrassades, regards émus appuyés l'un à l'autre. D'autres, qui n'ont pas de visas, doivent attendre à un autre guichet, les flux se croisent à grand-peine, on progresse centimètre à centimètre.
Dès la sortie, quelqu'un de l'agence H.S. nous accueille. On sort de la foule, parking et béton, l'anonyme des aéroports du monde, on serre les mains. Puis une voix : " Je suis Sona, je serai votre guide durant le voyage. " La voix est mince, ténue presque, avec comme un souffle déterminé dans le lointain. Celle qui parle est une jeune femme au visage qui rayonne. Elle nous regarde un à un : " Bonjour, vous avez fait bon voyage ? ", timide, heureuse. Sona chante le français presque, et plus les jours passeront, plus cette musique intime qu'elle saura insuffler aux mots de notre langue me fascinera. Une fois seulement, elle cherchera en hésitant, mais à peine, un mot (" ...là où on marche près de la rue... Ah oui, le trottoir... "). Elle ne passe pas d'une langue à l'autre, elle vit en même temps les deux univers, avec la même douceur.
" Voici Achot, notre chauffeur. " L'homme est corpulent, le visage distant, la cinquantaine au moins, il conduit bien dans la circulation qui s'éveille. Ce n'est pas tout à fait le jour quand nous entrons dans la banlieue d'Erevan. De chaque côté de la rue, des néons partout. " C'est Las Vegas, dit Sona, les Arméniens aiment jouer. " Les casinos et autres jeux d'argent se sont regroupés là, depuis qu'on les a interdits en centre ville. Et cela nous fait étrange, d'entrer dans cette si vieille cité avec des images d'Amérique.
Nous passons à l'hôtel, " pour vous reposer un peu avant de partir ". À deux pas de la place de la République - le cœur d'Erevan - l'hôtel E. a des relents d'époque soviétique, les longs couloirs sombres, les chambres en multitude et la pléthore d'employés partout l'air désœuvré. Vaguement restauré il y a peu, l'hôtel reste encore comme un vaisseau perdu. On va nous attribuer des chambres, mais le choix est long, le jeune homme de l'agence veut vérifier si l'eau coule bien, si le ventilateur fonctionne... Attente dans le couloir. " C'est vous qui avez fait votre programme ? demande-t-elle, avec le guide ? " Elle tient le seul livre touristique en français sur l'Arménie. Je lui dis qu'on a d'autres guides, en anglais, qu'on a lu des livres sur l'architecture et l'histoire... À peine le doute dans son regard. " Mais pourquoi vous avez choisi l'Arménie ? "