La ville à pied, c'est l'autre monde, les magasins modernes, ordinateurs et télés, salles climatisées.
Et deux pas plus loin, bâtiments vides, éventrés de tout leur bois - plafonds, portes, fenêtres - qu'on a sans doute récupérés pour le chauffage dans les hivers durs d'après l'indépendance, durant la guerre du Karabagh, quand on manquait d'énergie. Le choc des différences, quelques mètres entre l'hôtel de standing et la saleté, ceux qui mendient et ceux des Mercedes, comme souvent dans les métropoles du monde.
Le marché d'Erevan se tient dans une grande halle couverte. C'est le royaume des légumes, des fruits, des fruits surtout confits, séchés. Prunes, poires, abricots... qui reluisent. On nous propose aussi des mélanges mis en boule, de noix, de noisettes et de fruits confits - entre le bonbon et le gâteau nourrissant. Les empilements sur les étals sont ouvragés avec finesse: bariolage de ces fruits saturés de sucre, des couleurs translucides.
Il y a peu de touristes en ce début de matinée, et tous les marchands nous font goûter leurs produits, j'alterne les fruits confits et les fruits frais tranchés au couteau. Je me souviens de Sona nous rapportant un soir le proverbe arménien: "On fait le tour du marché et on a mangé", souvenir des périodes difficiles où se nourrir n'était pas simple. On décide de quelques emplettes, fruits bien sûr, miel, sarrasin, et du lavash, que les femmes de la campagne sont venues vendre ici et qu'elles présentent en petites piles soigneusement rangées.
Nous marchons vers le nord-est de la ville à pas lents, respirant l'ambiance sur de grands trottoirs que les passants remplissent peu à peu. On se croirait presque chez nous sur les grandes avenues d'Erevan - publicités, circulation dense, élégance des silhouettes - si ce n'était cette nonchalance particulière, une sorte de retenue devant cette modernité qui arrive et qui surprend sans doute encore.
Pause au café, sous les arbres, au croisement des avenues Machtots et Arami. Les cafés sont en plein air ici, ils occupent de vastes espaces de verdure au cœur de la ville. On peut y boire, y manger légèrement, jouir de confortables chaises, savourer l'ombre tranquille à midi ou la fraîcheur parmi les fontaines le soir. Les cafés d'Erevan sont un enchantement, le bonheur dans la ville, des clairières disponibles à tout moment pour la respiration, pour se mettre à l'écart.