Tension dès le matin entre Achot et Sona. Elle a apporté son sac de couchage, elle croit qu'à Kari Litch où nous allons, on pourrait loger "chez les physiciens".
Achot n'est pas d'accord, il fait trop mauvais selon lui (en fait, le soleil brillera presque toute la journée). On décide donc de chercher une chambre sur Achtarak, nous voulons découvrir d'autres lieux qu'Erevan pour la nuit. Échanges serrés. Finalement on essaie comme ça, mais eux rentrent à Erevan le soir. "Mais vous êtes d'accord pour rester seuls à Achtarak?" C'est d'accord. Le "motel" à Achtarak est au bord de la rivière, enfoncé dans la petite vallée. On réserve dès le matin, pour deux nuits seulement, car Achot pense qu'on peut faire le programme en deux jours au lieu de trois. Ce périple vers le nord-ouest commence sous d'étranges auspices...
Moughni est à deux pas d'Achtarak, au bord de la ville. On entre dans un monastère urbain, l'enclos est tenu par des prêtres, jardin de fleurs, de fruitiers. Tout est propre ici, raffiné. On devine une bibliothèque à droite, des appartements. Le calme et le repos.
L'église du XVIIe est à cette image de netteté. On a utilisé ici des pierres de tuf noir et orange. On les a disposées avec précision, damiers sur le chevet, bandes horizontales sur le tambour. À l'ouest au devant, une galerie porche ouvre sur l'extérieur. Ce qui frappe ici, ce n'est pas la grandeur du lieu, mais sa tranquille harmonie avec les jardins, les arbres, ce sentiment de bien construit. Les deux portails ouest et sud sont ornés d'une profusion de décors à la géométrie un peu rigide, tressages, moulures, grilles... Pas d'affirmation, pas de souffle, un artisanat rigoureux, presque modeste: quand on construit cette église Saint-Georges, l'Arménie n'existe plus vraiment, elle est sous la domination des Safavides d'Iran, qui lui laissent le répit de célébrer encore sa religion.
Un homme vient nous ouvrir. Il nous montre fièrement le dépliant en anglais, avec la mention de la "Guilde des femmes de prélats arméniens" de New-York, qui a permis la rénovation du monastère. Nous achetons les cierges, on les allume. Je demande à Sona:
"Globalement, qui restaure les monuments?
- Bien souvent, les très très riches Arméniens de la diaspora."
Elle sourit, sans que je sache si c'est de la fierté, ou de la gêne.