À Sisian, dans la lumière de fin d'après-midi, l'église sur la colline, un peu en retrait de la ville. À cette heure, l'ombre marque les reliefs, l'architecture se découpe contre le ciel.
Même silhouette que l'église d'Hripsimé à Edjmiadzin, même pureté des lignes, un corps carré, des niches en dièdre profondes sur chaque face, une coupole basse à douze côtés qu'une arcature cisèle.
Et toutes les facettes des toits qui s'emboîtent, et l'on voudrait prendre chaque pièce, essayer un autre assemblage, comme avec ces jouets d'enfance autrefois des centaines de fois manipulés pour que cela tienne à l'œil.
Dès que nous arrivons, un vieil homme est là, qui s'approche. Quelques mots avec Sona, un large sourire, il nous prend sous sa coupe, nous montre un à un tous les détails, les visages sculptés en haut des dièdres, la frise aux feuilles de vigne, aux grappes, les visages des évangélistes et leurs inscriptions tout là-haut sous la corniche de la coupole. Je mesure encore là cette ténuité des signes parsemés dans la nudité des volumes. Comment deviner seul la figure des donateurs, "cachée" tout au bas du tambour, ou cette pierre comme griffée d'une silhouette naïve? Il n'oublie rien, le vieil homme, dans le bonheur de faire voir, le cadran solaire marqué des douze heures du jour, l'animal minuscule à l'angle d'une frise géométrique...
Cette église fut érigée entre 670 et 689, et certes restaurée, mais semble pourtant là hors du temps. Traversée des siècles, jointe à la permanence des formes: le patrimoine en Arménie est d'abord une présence, bien plus qu'une lecture de l'histoire. Même si les spécialistes pointent des écoles d'architecture, des évolutions, et si de place en place surgit à l'œil ce qui fait différence, c'est l'impression d'une seule langue pour découper l'espace qui prévaut. L'homme nous guide à l'intérieur, nous renouons avec les cierges dans le bac de sable.
La petite esplanade de l'église domine Sisian. La ville s'étale à 1600 mètres d'altitude dans une vaste étendue légèrement vallonnée. Au sud, les montagnes lointaines du Zanguézour, au nord, celles qui marquent la frontière avec le Karabagh. La rivière Vorotan, qui traverse la Siounie du nord au sud, coule ici paisiblement, parmi les touffes d'arbres. Pas de caractère urbain affirmé, des bâtiments inoccupés, une grue qui rouille, mais des rues calmes, larges, des plages d'herbes où s'asseoir, Sisian file une vie nonchalante.