À proximité de la rivière, on avance sur quelques kilomètres. On voit de loin l'autre monastère, Saghmosavank, posé au bord de la gorge comme celui qu'on vient de quitter. Parenté des lieux, même constructeur et même période.
Un autocar attend près de l'enclos des touristes qui reviennent du site. Ils nous interpellent en arménien. On marque un temps, puis on lance:
"Frantza !
- Comment ça va?" disent-ils à plusieurs, en français.
Ils discutent avec Sona. Ce sont des Arméniens de Syrie. "Ils ne comprennent pas que vous ne parlez pas l'arménien, si vous êtes des Arméniens Français. Je leur ai dit que vous étiez des Français tout court. Ils n'en reviennent pas que vous veniez là." On se sourit, se salue. Ils repartent.
"Il y a encore des communautés arméniennes en Syrie?
- Oui, dit Sona, et ils ont leurs écoles, ils parlent l'arménien."
Bribes de l'ancien royaume de Cilicie, mémoire des livres qui prend chair dans ces regards heureux de revenir à leur terre mère.
"Mais là-bas, ça se passe bien avec la Syrie?
- Bien mieux qu'avec les Turcs" dit-elle doucement. Ils s'éloignent, ils font des gestes derrière la vitre du car.
Saghmosavank, le "monastère des psaumes", comprend quatre bâtiments accolés: un jamatoun carré par où l'on entre, l'église Sainte-Sion, une petite chapelle et la bibliothèque. De l'extérieur, l'image est paisible, avec le caractère affirmé d'une architecture tranquille: jeu des toitures, tambour arrondi de la coupole, pierres sombres, parfois ocres.
Quand on en fait le tour, beaucoup de croix inscrites sur les murs, rythme erratique maintes fois rencontré déjà. Est-ce la simplicité du lieu, celle des édifices aussi qui n'impose pas d'emblée la grandeur au regard, est-ce la répétition de cette architecture dont nous connaissons mieux maintenant l'alphabet? Nous parcourons ces lieux en visiteurs, comme un agréable moment qui s'écoule. Je cherche malgré moi cette intensité qui me manque. Tout semble utile pourtant, tout pourrait servir d'exemple... Nous entrons dans l'ombre fraîche du jamatoun. On s'attarde, goûtant les voûtes, parlant à mi-voix, on va du jamatoun à l'église, à la bibliothèque, puis à la minuscule chapelle. Au mur, une fresque d'un visage d'évêque, au regard attentif, profond, presque fiévreux. L'ailleurs caché, qui fait rupture à la démarche tranquille.