Arrive le propriétaire, le patriarche de la famille ("Ils ont racheté ce bâtiment à l'armée."). Nous nous installons sur un canapé. Que veut-on manger? Dialogue d'Arsen et Sona sur ce qu'il y a de disponible en ville, on fait la liste des achats, des prix, le coût de la cuisine... Nous acquiesçons, Arsen envoie ses gens - la famille s'est agrandie - faire les courses. On attend toujours le ménage. Sylvie et Monique qui disent qu'elles aussi ont besoin de ménage s'en vont quand même prendre leur douche. Avec Arsen, on bredouille en anglais l'un et l'autre. Il me parle de l'Europe, de l'Allemagne où il est allé, de la France qu'il aimerait tant connaître. Il y a de la bienveillance chez cet homme, l'accueil est commercial bien sûr, mais au-delà, dans le regard et le ton de la voix, dans ses demandes, la lueur d'une fraternité non feinte, et la modestie de l'artisan.
La femme de ménage arrive avec la nourriture. Aspirateur. On peut disposer les affaires. On époussette nous-mêmes un peu. Cela ressemble à une vraie chambre. D'en bas, les odeurs montent. Le voyage est ainsi, peuplé de chaque instant singulier, mosaïque déroulée mais qui crée un espace, image après image, scène après scène. Arsen qui parle des randonnées à faire dans les montagnes autour, des grottes à découvrir où personne ne va jamais, "certaines avec des peintures". La femme cet après-midi au musée modeste de Gladzor qui a fait le café pour Marie-Andrée quand nous étions dans la montagne. Et ces pierres blanches, ces pierres noires, en contrepoint des hommes, où s'est comme amassé le chant constant des siècles, qui force encore l'écoute, à nos fronts, pour demain.
C'est prêt. Nous avons une grande table pour nous six. On s'assoit dans d'immenses fauteuils qui vous projettent en arrière. Arsen arrive avec un pichet d'argent au long bec recourbé. "C'est un cadeau" dit-il. Il verse à chacun une large rasade. "C'est de l'alcool de mûres. Il faut boire d'un seul coup, puis respirer complètement. " Achot fait la démonstration. Nous l'imitons en chœur. Brûlure violente, puis le parfum longtemps dans la bouche qu'on mêle au flux de l'air. Achot est heureux, il prend deux rasades supplémentaires. Merveilles du repas, sarrasin, matsoun, des petits poissons de la rivière Arpa...
Au matin, l'eau est coupée, l'hygiène restreinte: lavage des dents à l'eau minérale. Avant notre départ, Arsen veut tout nous montrer, le petit musée qu'il aménage au dernier étage où les objets de la vie rurale d'autrefois s'amoncellent, le sauna et la piscine en construction. Il nous parle d'agrotourisme, nous demande si d'après nous les Européens peuvent venir. Dehors, je regarde la ville dans le matin, les militaires déjà aux manœuvres dans leur caserne; le bruit des camions résonne dans la vallée, il y a plus d'arbres que de maisons ici, quelques immeubles, entre la route et la rivière. Nous partons vers Gndevank.