On rentre vers Vayk dans le soleil couchant. Longue montée vers le col de Vorotan dans l'ombre lente qui vient. Les reliefs prennent une ampleur inconnue. Fascination de la lumière qui s'en va sur ces étendues, tandis que le soleil continue d'illuminer les crêtes.
Et dans la présence de l'ombre, on devine bientôt des silhouettes, vaches, moutons, par centaines qui rentrent des pâtures. Ils font de grands frémissements dans les vallons de la terre, des cavaliers les entourent, les mènent à leurs abris. J'observe ces danses magnifiques, ourlées de ce restant du jour à peine - les hommes, les bêtes et la terre même qui s'en iraient ensemble échapper à la mort. Me revient en mémoire, obsédante, la mélodie du doudouk, lorsqu'au bout de son souffle le joueur trouve encore l'énergie d'un phrasé, d'une arabesque avant le seul silence.
Dans la nuit qui nous reste, nous croisons les camions qui roulent vite vers l'Iran. Les mouvements s'apaisent bientôt. Certains sont arrêtés, à des hôtels de bord de route, comme ces deux imposantes remorques blanches marquées "Tachkent, Ouzbékistan".
À l'hôtel de Vayk, il est vingt-deux heures. Arsen est heureux de nous revoir, mais deux Japonais ont pris place déjà dans les meilleures chambres. Les pièces où nous allons passer la nuit n'ont qu'un rapport lointain avec elles. Pas d'eau, toilettes engorgées, repas vite avalé. On cherche à s'endormir, dans le fourreau précaire des sacs de couchage.