Nous sommes sur l'ancienne île du lac Sevan. C'est un matin de lumière, on voit là-bas les Monts Vardénis enneigés, et tout l'espace d'Arménie devant nous, aussi sublime que l'instant amoureux, des pierres aux visages. Sona me parle de sa langue fragile dans le monde, de cette culture qu'elle craint de voir mourir, de ceux qui sont partis, de ceux qui partent encore - "C'est si peu la terre d'Arménie, maintenant. Mais au moins, nous qui restons ici, nous sommes chez nous." Elle sourit, entre douceur et tristesse, comme toujours. Je lui parle des cultures sur la toile du monde, de ces espaces de présence et d'échanges à construire.
"Est-ce qu'on ne devrait pas être chez soi maintenant partout sur la planète ?
- Mais nous sommes chez nous depuis si peu de temps. Vous êtes nombreux en France, vous voyagez, on vous écoute... Ici, vous avez vu les villages, et le peu des gens. Nous avons ces pierres, ce qu'on voit de la mémoire. Il faut de la patience.
- Être chez soi, c'est quoi, vraiment ?
- Est-ce que les images suffisent ? Ou les histoires ? Là-bas - et elle montre un village au nord-est, dans le soleil du matin - c'est là où vit ma grand-mère encore." Elle marque un temps, puis, timide: "Être chez nous, c'est peut-être là où on est en confiance, avec sa vérité ?"
Un bateau vient du nord, il fait une raie blanche sur l'eau. Au-dessous de nous, sur la rive, ce qui semble un lieu pour touristes, désert. "Les gens vont revenir, dit-elle, c'est important pour l'économie." Je songe à cet endroit que toute agence de voyages pourrait rendre "paradisiaque", aux images, à l'interprétation. Et à ce peu qui fait le sens des lieux, qu'on peut rayer d'un trait de communication. Je n'ose pas répondre.
"Les autres nous attendent, il faut partir maintenant" dit-elle dans un sourire.