Tatev est un des hauts lieux de l'Arménie. Siège épiscopal au VIIIe siècle, le monastère devient un foyer d'intelligence et de sculpture. Plusieurs centaines de moines y vivent au XIe siècle, plus de deux cent cinquante villages contribuent à le faire vivre, son scriptorium produit d'admirables manuscrits, et malgré les invasions et les dominations étrangères, il reste durant plus d'un millénaire le centre spirituel de cette province de Siounie. Son origine baigne dans la légende: ayant fini la coupole de la grande église, l'architecte n'en pouvait plus descendre. Alors il s'écria: "Togh astvats indz ta-tev", ce qui veut dire "Que Dieu me donne des ailes !" Ainsi fut nommé le lieu...
On entre dans l'enclos fortifié par une petite porte, un passage sous les remparts, et nous voici sur le vaste terre-plein. Sensation paradoxale d'être ainsi protégé des tourments de la terre qu'on vient de vivre. Lieu construit, reconstruit, encore imprégné des activités de l'esprit. On s'attendrait à voir sortir d'un bâtiment conventuel un moine philosophe, comme sur ce manuscrit fameux où Grégoire de Tatev, au XIVe siècle, interprète les psaumes entouré de ses élèves, en groupe à ses pieds.
Au-dessus de l'entrée, juchée sur le passage, la petite église Sainte-Mère de Dieu. On dirait un objet familier, posé là, comme un simple témoignage de formes, pour donner à voir l'essentiel à quelques pas.
L'église Pierre et Paul d'ici semble portée d'une énergie intense - la coupole qui s'élance et sa coiffe en ombrelle qui s'effile. Vertige d'une architecture à ce point concentrée, qui fait surgir du compact ce qui n'est ni démesure ni petitesse, mais un mouvement qui comble. De grands motifs en chaîne entourent ce haut tambour, comme pour en tisser plus encore la force visuelle.
Comme à Edjmiadzin, on a construit un porche au devant de l'église, peuplé de décors subtils, riches, multipliés. Et là aussi soudain, le sentiment irrépressible d'une perte, comme un ajout luxueux de trop - un décor virtuose exemplaire, mais qui n'aurait plus sa source. Nous allons au hasard dans les bâtiments, l'ombre fraîche du réfectoire, une porte en bois sculpté comme une enluminure, la petite boutique humide où l'on vend quelques souvenirs.