On s'avance vers l'autre groupe d'églises et d'abord ces vestiges de l'église dédiée à Jean-Baptiste, construite au IXe siècle et dont il reste quelques murets où sont adossés des khatchkars d'une grande finesse. Puis, à l'entrée du gavit du XIIe siècle, à nouveau deux tympans superposés, mais ici libérés de tout décor. L'univers de la femme encore en bas, de pierre rouge, et celui de l'homme-Dieu en haut.
De loin, tout semble simple. Un tympan modeste entouré d'une voussure en plein cintre. Un autre là-haut, limité par un arc brisé. De l'un à l'autre, un pilier central qui guide le regard.
La femme, en bas, tient son enfant mais loin d'elle. Elle semble heureuse. Son corps est admirable de courbes, de plis, il se fond avec celui de l'enfant. Tous ces contours qui font naître la figure émergent à peine d'un enchevêtrement dense de feuilles et de fleurs, où l'on devine aussi parfois des lettres. Deux personnages se mêlent à ce décor, deux prophètes sans doute, aux visages minces. L'œil parcourt d'abord cet espace, il suit la précision des traits, l'imbrication des personnages et du réseau d'entrelacs, femme mère proche là aussi de la matrice du monde.
En haut, c'est Dieu et l'homme, la parole et l'histoire. La sculpture ici cherche à conquérir l'espace, les traits sont marqués, ils disent la rigueur d'un propos, ce qui s'affirme. L'être qu'on figure ici en un immense visage n'exprime rien que sa propre présence, entre paix et puissance. Il tient la tête d'un homme dans sa main - Adam, celui qu'il a créé, ou peut-être Jean le Baptiste décapité, ou peut-être son fils mort, dont on voit à gauche la crucifixion. Là encore, la scène n'attire pas vraiment comme une image à raconter, mais parce que peut-être ici naît, dans l'impassible grandeur d'un visage, une vérité dite.
Étrange dialogue du discours au cœur de l'image, ce qui crée le vent de l'histoire au plus près de la mort, et de cette complexité du monde d'où viennent à l'existence, comme en filigrane, la femme et l'enfant. Les deux grands ensembles sculptés de Noravank côtoient les mêmes territoires: le signe qui foisonne en réseaux complexes, matrice primitive qui fonde le monde et dont s'extrait l'image, incertaine d'abord, puis péremptoire. Représentation triomphante, images où convergent les peurs fascinées, que garde-t-on de ces entours assemblés, de ces articulations multipliées qui les limitent?