Retour à Sisian, nous échangeons de maigres mots avec notre chauffeur. Il est midi. "On marche, on achète à manger et on mange !..." Il y a partout des arbres dans la ville, plusieurs rangées parfois près des trottoirs, pour l'ombre, pour s'asseoir. Près de l'hôtel, une place dallée tout en long pour les piétons - ici deux femmes âgées tiennent conversation, là trois hommes debout, dos contre l'arbre, plus loin une fontaine où l'eau jaillit à peine, on s'y penche pour boire.
Puis la rue principale, plus animée, quelques voitures, des grappes de gens, l'élégance des femmes. Voici les magasins d'hier soir et les étals dehors. Un enfant qui parle anglais se joint à nous, il nous aide pour nos achats: des abricots, notre premier raisin ("On dit que le raisin n'est pas bon tant qu'il n'a pas été béni. C'est le quinze août, à la fête de la vigne" avait dit Sona). On entre dans la petite boulangerie. Lavash et gâteaux secs, en surnombre, car la boulangère n'a plus de monnaie, elle fait l'appoint en nature. Elle veut savoir d'où l'on vient. "Frantza", le visage s'éclaire, elle ajoute un gâteau dans le sac.
Pique-nique devant l'hôtel, assis à l'ombre. Le temps flotte, on attend Sona, vers quatorze heures. L'inépuisable délice des fruits. Une jeune femme vient vers nous. Cheveux noirs, teint presque doré, elle est grande, vêtue d'un ensemble tout blanc. "You speak english ? Français?" Elle est étudiante, demeure à côté, "là, dans la maison." Elle sourit. "Je peux vous parler ? Je ne vous dérange pas ?" Elle dit ses études, les langues qu'elle apprend, la beauté difficile du français. Elle nous demande le pourquoi du voyage, de l'Arménie. Transparence dans la chaleur lourde du midi, voiles qu'on lève dans l'insouciance des propos. Elle nous quitte soudain, gênée de sa légère audace. Douce, comme cette ville.
À l'hôtel, la jeune femme qui nous voit désœuvrés nous offre un thé et des morceaux de chocolat. Le propriétaire de l'hôtel arrive. Je leur tends le guide en anglais: bonheur de se voir cités, qu'on parle d'eux en bien. Les échanges gagnent en chaleur. Sona arrive, avec Achot. Non, on n'est pas allés là-haut, non, non, on ne s'est pas ennuyés, oui, oui, on s'est bien débrouillés avec le taxi. "Mais comme il fait beau maintenant, est-ce que ce serait possible d'y aller, à Oughtasar ?" C'est non d'abord, avec un grand sourire, puis c'est oui, car quelques jeunes touristes arméniens viennent d'arriver, qui veulent y monter aussi. Dans une heure.
"Ce ne sera pas trop tard ?
- Non, non, le jour est long."
Ce soir, on ne dort pas là, il faut remonter vers le nord.