On s'approche du mur encore debout, de l'abside, on cherche la fascination des images encore, de près, visages d'apôtres presque émaciés, regards intenses, Pères de l'Église nimbés qui nous font face dont la paix fait presque lassitude, immense figure du Christ là-haut, les yeux grands ouverts d'un homme délié du temps. Les fresques font matière, de près c'est l'enduit qu'on perçoit, dans ses irrégularités de volume, dans ses écarts, mais c'est toujours l'image qu'on voit, émergeant de la matière et qui la fuit, l'insaisissable des regards posés sur vous, qui peuplent l'espace courbe de l'abside, à profusion, comme s'il fallait vous dire avec insistance que rien n'échappe à l'apparence, qu'on ne découd rien des mailles du désir.
On veut prendre du recul, on s'éloigne pour tout saisir d'un regard: l'abside est trouée de minces fenêtres qui laissent voir des fragments de ciel et de montagnes. Quelque part en arrière, c'est ce qui fait le réel mais par bribes, alors que le soleil magnifie tout au devant les images qu'on a multipliées, qui saturent le regard, qui font un implacable masque. Kobayr est une blessure ouverte, on n'y résout rien du gouffre inlassable des apparences. Mais dans cette architecture mutilée, on devine avec une jouissance proche parfois de l'effroi, ce qui se joue, ce qui se gagne et se perd dans la violence irrémédiable des images.
Les fillettes sont toujours là, de l'autre côté du mur, qui jouent en riant, plongées dans leur enfance comme dans la chair d'une terre. Elles nous attendent. Elles vont nous guider dans le dédale des sentes, dans l'incertitude du retour.