On cherche maintenant l'ancienne basilique, une demande, puis une autre à des groupes de gens qui discutent dans les ruelles de terre. Une courte marche, et dans un espace d'herbes sauvages, voici les ruines.
Témoignage encore présent de cette église, du VIe siècle sans doute. Temps long des pierres, qu'on n'imagine pas précaires, linteaux lourds portant encore des traces de sculpture, fragments d'écriture sur un chapiteau. Quelques murs bas debout, des emplacements, et tout autour, à quelques mètres, des maisons d'aujourd'hui, architecture de pauvreté, façades fragiles. Et cet écart crée l'émotion, tend l'espace: que cherche-t-on dans ces restes au milieu de la ville, parmi les herbes folles? Qu'y a-t-il à célébrer, dans le dédale des pierres à terre?
On marche sans réponse, on voit les murs d'aujourd'hui, on voit ce patrimoine comme un terrain vague où les enfants peut-être font des jeux. Ce périmètre qu'on préserve, le temps qu'on sacralise, on voit ces pierres sombres, lourdes. Murs effondrés qui percent la mémoire à peine. On marche, on fait le tour de l'espace, on ne sait jamais rien de ce qui vous appelle.
À quelques mètres, de l'autre côté de la rue, Sona a trouvé l'emplacement de l'église mononef, à l'intérieur d'une propriété. Nous entrons sous un porche. Une femme nous accueille, elle ferme les portes des chambres et nous entraîne dans le jardin. Il reste de cette petite église du Ve siècle juste un muret. On y voit la forme de l'abside au fond, et ça et là des fragments d'entrelacs sur des pierres. Des arbres fruitiers poussent au milieu de ce qui fut un édifice. La femme parle des savants qui sont venus, de cette église, avec l'attention des vivants, elle fait des gestes simples, nous questionne du regard, nous dit merci d'être venus, merci de l'intérêt qu'on porte à son pays. Je la regarde, elle a la bonté des paysannes de l'enfance, la voix profonde.
Elle attrape les branches d'un prunier, puis du pommier, et nous voici chargés de fruits. Prunes rouge et or, juteuses, le bonheur sous la dent. Tout près à l'ombre sur une table longue, des fruits qui sèchent. La femme coupe des fleurs, elle en fait un bouquet jaune et blanc que Marie-Andrée arbore fièrement. Le temps s'écoule avec elle, dans sa maison, et c'est l'éternité pure de l'échange. Elle voudrait nous garder encore, nous lui offrons un foulard de Paris qu'elle met sur ses épaules, heureuse.
Nous montons au cimetière, sur la colline au sortir de la ville. D'ici on voit mieux l'étendue d'Eghvard, arbres et maisons, dans cette vaste cuvette fertile. Tout autour, du Mont Ara au plateau, c'est l'ocre des terres grillées au soleil. Le cimetière s'étage au sommet d'une colline ronde, il semble aussi grand que la ville, au même endroit depuis toujours.
Il y a des khatchkars du XIe siècle un peu plus haut, groupés par trois ou quatre, comme rassemblés pour lutter contre le temps. "Il y a la croix, mais le reste est toujours différent" dit encore Sona. La croix parfois malhabile, et les entrelacs tout autour. Ils sont placés ici sur des supports, qui les rendent plus hauts, repères protecteurs dans l'espace des tombes au-devant d'eux. Nous allons vers les tombes récentes aussi, il y a maintenant des grilles métalliques qui marquent les emplacements, et des plaques noires sur lesquelles on a gravé les photos des morts. L'image, ici aussi, qui gagne sur les motifs et les signes. Parfois, toujours gravés, des motifs en rosaces qui remplacent la photo du visage.