Achot nous attend, il semble impatient. Nous rentrons vers Erevan. La ville est animée comme un dimanche, des gens qui marchent dans les rues, des gens assis à l'ombre, dans les parcs qui ceinturent la ville. Sur les boulevards on longe l'université, Sona nous montre heureuse les bâtiments, j'aimerais qu'on s'arrête, on n'ose pas, Achot est visiblement pressé d'en finir. On traverse la ville vers le sud, vers la colline d'Erebouni. Erebouni, la très ancienne forteresse, l'origine d'Erevan.
Le musée est au pied de la colline. Une femme nous guide en français d'un discours rapide, exact. Voici la vie des anciens, les graines retrouvées, les tissus, lors des campagnes de fouilles menées depuis des années déjà. "Nous sommes la plus vieille ville du monde, avant Rome, dit-elle. Et nous, on a le texte qui le prouve." C'est une inscription cunéiforme qui date de 782 avant J.-C. Et qui précise qu'Arguichti, fils de Menua, construisit cette splendide forteresse et la nomma Erebouni..
Arguichti Ier est le roi d'un pays qu'on nomme l'Ourartou, dont les contours recouvrent à peu près l'Arménie historique, celle qui s'étend au-delà des trois grands lacs Sevan, de Van et d'Ourmia, comme le montre la carte dans l'ombre du musée. "Ce sont nos ancêtres" dit Sona. Au dire des historiens, la filiation n'est pourtant pas bien directe, les Arméniens venus d'ailleurs, ayant conquis sans doute les Ourartéens et s'étant mêlés peut-être avec eux.
Mais l'Ourartou fut un foyer de civilisation qui imprégna ce territoire. On nous montre les jarres à vin, les formes d'argile qui servaient pour l'irrigation. Ici, l'Arménie creuse ses racines, tellement certaine de sa lointaine identité. Relation vivante à l'extrême origine, qu'on préserve, qui isole aussi. Je me souviens de cette histoire que Sona nous avait racontée,de bergers dans la montagne qui disaient : "Les Arméniens pensent qu'il y a eux et l'Amérique, c'est tout..."
Nous montons sur la colline, dizaines et dizaines de marches, pour accéder sur cet étroit triangle à ce qui reste de la forteresse. D'ici, l'immense capitale qu'est devenue Erevan s'étale dans la brume de chaleur, immeubles, arbres, maisons basses. Sur les collines de l'autre côté, la tour de la télévision. Nous longeons les blocs de pierre ajustés, empilés, on devine les traces d'une vie, d'un peuplement, on cherche le palais, le temple, les inscriptions d'une autre écriture plus ancienne encore. Erebouni est un lieu de seule mémoire, rien ici qui emporte le regard, on y voit des marques, des murets, l'essentiel des signes visibles qui témoignent et qu'on ne comprend qu'à peine, mais l'emplacement domine l'espace, il donne à situer le temps, comme si ces hauteurs portaient en elles d'évidence l'origine.