Déjeuner dans un parc, au café. J'observe les femmes qui passent près de nous, leur blancheur, leur élégance, leur provocation naïve parfois. Entre les silhouettes âgées des villages et certains maquillages appuyés de la ville, elles tissent dans l'air une beauté distante, corps exacts, retenus, mais d'une telle fluidité qu'on a l'impression parfois de phrases sensuelles qui s'écrivent à même l'espace.
Nous marchons, cette fois dans de petites ruelles, à la recherche des anciennes églises de la ville. À quelques pas des grandes avenues, un petit édifice dans une cour, des vieilles femmes assises à l'ombre d'un grand arbre, quelques personnes à l'intérieur qui s'affairent aux bougies, et une silhouette blanche, élancée, de dos, qui prie. Elle se signe, se retourne, la jeune femme est merveilleusement belle. Plus loin, c'est à nouveau les ruelles, au travers d'immeubles parfois décrépis. Dans ces espaces intérieurs d'Erevan, on découvre des treilles immenses qui font tonnelles dans les passages, où les gens se reposent, où l'on croit se perdre. Il règne ici un calme étonnant, autre versant de la ville, quartier sans doute en sursis : à deux pas, on vend des chemises de Milan ou Paris dans des boutiques climatisées à cent trente cinq dollars pièce.
Le soir, nous restons longtemps au balcon de la chambre à scruter ce qu'on voit de la ville. Juste au-dessous de nous, le bâtiment des Nations Unies, hérissé de climatiseurs aux fenêtres : au matin la barrière s'ouvre et laisse entrer les grosses voitures. À droite, c'est une vaste cour un peu vague, un chien y aboie souvent. Plus loin vers le sud, on devine à travers les lumières les bâtiments disparates qui s'élèvent sur la colline. Tard dans la nuit, nous respirons la ville, comme s'il fallait ce va et vient de l'air pour que l'épure du voyage s'accomplisse, qu'elle nous couvre sans nous engloutir, instants qui nous reviennent - le vieux berger près de Makaravank émerveillé du briquet qu'on lui a donné, images encore, stèles au soleil, architectures qui s'égrènent, les immenses paysages de Siounie, et ces rencontres ténues, ce qu'on achète, ce qui fait vivre. Plus tard encore, nos corps qui se mélangent, et profondément les images, les espaces à profusion dans la mémoire dans le flux amoureux.